feu, ne portaient pas sur les Prussiens. Quelques-uns frappaient
autour des creneaux; un zouave atteint entre les epaules, resta sur
place. La fusillade ne faisait plus qu'un long roulement etouffe par
les decharges de l'artillerie. Le lieutenant fit sonner la retraite.
Il fallait de nouveau passer le pont-levis ou le tourbillon des
projectiles s'abattait. Un elan ramena les volontaires qui avaient si
bravement fait leur devoir; mais leur groupe vaillant paya sa dime a
la mort. J'en vis tomber trois encore, et le reste disparut sous la
voute: ma gorge etait prise comme dans un etau.
Mon tour de servir etait venu. Sur un signe du lieutenant, et a
l'instant meme ou les derniers zouaves passaient sur le tablier du
pont-levis, je m'elancai avec cinq ou six camarades completement en
dehors et me suspendis aux chaines du pont qu'il s'agissait de
relever. Les Prussiens, qui n'etaient plus tenus en respect, se
precipiterent du cote des palissades et firent un feu d'enfer. Je ne
voyais plus. Autour de cette grappe d'hommes qui pesaient de toutes
leurs forces sur les deux chaines, les balles tracaient un cercle en
s'aplatissant contre le mur. Il me semblait que huit ou dix allaient
me traverser le corps. Elles ricochaient partout; leur choc contre la
pierre et le fer ne s'en detachait pas en coups isoles, mais faisait
un bruissement continuel. Je m'etonnais de la pesanteur du pont, bien
que j'eusse mis a l'epreuve la solidite de mes muscles, et de la
lenteur maladroite des chaines a glisser dans leurs ramures, et
cependant cette operation qui me paraissait interminable ne dura pas
plus de quinze secondes. Quand les balles trouerent le lourd bouclier
qui fermait la voute, je me secouai: je n'avais pas une egratignure.
Aucun de mes camarades non plus n'avait ete touche.
--C'est la chance, murmura un caporal qui s'essuyait le front.
Un de mes voisins me tapa sur l'epaule, et m'engagea a le suivre sur
le rempart.
--Tu comprends, me dit-il, qu'il n'y a plus rien a faire ici; la-haut,
nous verrons tout: ce doit etre drole.
Cette derniere observation me decida. On avait bien la-haut, comme
disait le zouave, l'inconvenient des obus qui tombaient ca et la; mais
on pouvait aisement se defiler des balles. Je m'etendis sur l'herbe,
et me mis a fumer quelques cigarettes, tout en ne perdant aucun detail
du spectacle que j'avais sous les yeux. Des nuages de fumee montaient
dans l'air, des fermes brulaient; on distinguait des ondulat
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