urais pas troque mon
coin ou soufflait la bise contre un fauteuil d'orchestre a l'Opera.
Mes camarades et moi, nous etions tous couches sur le rempart dans
l'herbe et la rosee, observant un silence profond et l'oeil au guet.
Mon attention etait quelquefois distraite par des mouvements qui se
faisaient autour de nous. Deux compagnies de lignards firent abaisser
le pont-levis, et filerent, l'arme sur l'epaule, vers la gare du
chemin de fer, ou elles allaient prendre une grand'garde. On entendait
leur pas dans l'ombre, et leur masse noire s'effacait lentement dans
une sorte d'ondulation cadencee.
Le froid penetrant de la nuit se faisait sentir. Mes vetements de
laine et mon capuchon lui-meme s'imbibaient de rosee; des frissons me
couraient sous la peau. Dix heures sonnerent, puis onze. Rien ne
bougeait dans la plaine. Mes yeux se fatiguaient a regarder la nuit.
Je me serais peut-etre endormi sans le froid glacial qui, du bout de
mes pieds trempes dans l'eau, montait jusqu'a mes epaules. A droite
et a gauche, les corps inertes de mes compagnons de garde
s'allongeaient pesamment dans le gazon terne et detrempe. De temps a
autre, des monosyllabes rudes sortaient de leurs levres, puis tout
rentrait dans le silence. Minuit arriva; toutes les oreilles en
compterent les douze coups. Mon enthousiasme s'etait adouci. Plusieurs
d'entre nous tournerent la tete du cote par lequel nous etions venus.
Rien n'y parut. Quand la demie tinta:
--A present, murmura l'un de mes voisins que l'experience avait rendu
sceptique, ce sera comme ca jusqu'a demain.
Il ne se trompait pas. A six heures du matin, nous etions encore
immobiles aux memes places. Pour secouer la somnolence qui faisait
parfois tomber nos paupieres alourdies, nous avions la distraction de
quelques alertes. Ainsi, par exemple, vers une heure, des mobiles
campes dans notre voisinage, entendant marcher, sauterent sur leurs
faisceaux, crierent aux armes a tue-tete, et commencerent un feu
violent. Les officiers exasperes couraient partout en criant: Ne tirez
pas! ne tirez pas! mais les fusils partaient toujours. Ce beau tapage
dura cinq minutes. Il s'agissait tout simplement d'une compagnie de
ligne qui rentrait apres une reconnaissance. Un malheureux caporal fut
victime de cette fausse alerte.
Il y eut encore deux ou trois algarades semblables. La derniere me
laissa sans emotion. Vers quatre heures et demie du matin, aux
premieres lueurs du jour, partit un coup de canon ti
|