les escadrons se rangeaient en ordre
de marche; un cliquetis d'armes s'eleva mele au roulement lointain
d'une voiture, puis tout s'eteignit: l'heritier d'un empire s'en
allait vers l'abime!
Le train qui devait partir a six heures de la station de Charleville
n'etait pas encore forme au moment ou j'arrivai. La gare etait remplie
de soldats fievreux et fourbus ou l'on comptait non moins de trainards
que de malades, et que l'administration aux abois versait dans les
depots du Nord et les divers hopitaux qui pouvaient disposer de
quelques lits encore. Les wagons ne furent pleins qu'a neuf heures. On
y entassait les debris de vingt regiments. A neuf heures et demie, la
locomotive s'ebranla lourdement. On voyait ca et la des grappes de
pantalons garance sur les plates-formes et les marchepieds, ceux-ci
debout, ceux-la couches. De temps a autres, des convois charges de
soldats, de canons et de chevaux saluaient au passage le convoi qui
s'eloignait de Mezieres. C'etait l'armee du general Vinoy, qui allait
appuyer l'armee du marechal Mac-Mahon, et qui devait presque aussitot
battre en retraite et s'enfermer dans Paris. Un de ces convois
s'arreta a la station de Harrison vers deux heures en meme temps que
celui sur lequel j'etais monte. On causa de wagon a wagon entre
cavaliers et fantassins; c'est ainsi que j'appris qu'un detachement du
3e zouaves venait de prendre place dans un train montant, et ne devait
pas tarder a passer. Je resolus d'attendre l'arrivee de mes camarades
inconnus.
Au bout de quatre heures, le detachement du 3e zouaves parut enfin.
D'un bond je m'elancai aupres du lieutenant qui le commandait.
--Monsieur? lui dis-je.
--On m'appelle mon lieutenant, repliqua l'officier d'un ton sec; puis
me regardant le sourcil deja fronce:
--Que voulez-vous? et surtout soyez bref.
Je lui exposai ma demande en termes nets et precis.
--Montez! dit le lieutenant.
Je pris subitement place dans un wagon ou quinze zouaves allongeaient
leurs guetres. Des regards curieux se dirigerent vers le nouveau-venu,
qui melait tout a coup sa jeune barbiche au rassemblement farouche de
ces moustaches rouges et noires. L'instant etait critique: il y avait
la un ecueil a franchir. Une magnifique pipe que je tirai et que
j'offris tour a tour a chacun me gagna le coeur de mes compagnons de
route. En signe d'adoption, ils me tutoyerent spontanement. Vers dix
heures du soir, le train s'arreta a Charleville: le detachement des
zouave
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