s diner ensemble a Murano? Apparemment quand je
serai enterre." Mais je songeai que les dineurs comptaient sans leur hote.
En les regardant prendre leur the, je m'apercus qu'ils buvaient l'un apres
l'autre dans la meme tasse. Lorsque ce fut fini, Pagello voulut sortir.
George Sand le reconduisit. Ils passerent derriere un paravent, et je
soupconnai qu'ils s'y embrassaient. George Sand prit ensuite une lumiere
pour eclairer Pagello. Ils resterent quelque temps ensemble sur
l'escalier. Pendant ce temps-la, je reussis a soulever mon corps sur mes
mains tremblantes. Je me mis _a quatre pattes_ sur le lit. Je regardai la
table de toute la force de mes yeux. Il n'y avait qu'une tasse! Je ne
m'etais pas trompe. Ils etaient amants! Cela ne pouvait plus souffrir
l'ombre d'un doute. J'en savais assez. Cependant je trouvai encore le
moyen de douter; tant j'avais de repugnance a croire une chose si
horrible!"
Ce n'est pas seulement le doute, c'est une parfaite incredulite que nous
inspire le recit de Paul de Musset. Il ne revet aucun caractere de
vraisemblance. Il se produit apres la mort du poete, qui par tous ses
actes, par toutes ses lettres, l'a implicitement dementi. Il est redige en
des termes declamatoires et melodramatiques qui ne sont pas le style
d'Alfred de Musset. Il est inconciliable avec l'impression qu'Alfred
Tattet rapportait de Venise, avec la plus elementaire pudeur feminine,
avec ce respect du a la mort qui plane au-dessus du lit d'un etre qu'on a
aime. George Sand a pu reprendre sa liberte et se detacher de Musset,
convalescent et gueri. Il est impossible qu'elle l'ait trahi quand il
etait au seuil de l'agonie.
Toutefois entre le poete et sa maitresse, a la suite des explications
orageuses precedemment accumulees, etait survenu ce que M. Paul Bourget a
appele "l'irreparable." George Sand avait admirablement soigne l'_ami_
malade; elle etait incapable de pardonner a l'_amant_ qui l'avait
offensee. Sur ce point, elle donne de son caractere une analyse bien
penetrante dans une sorte de confession adressee a Pagello: "Quand je vois
les torts recommencer apres les larmes, le repentir qui vient apres ne me
semble plus qu'une faiblesse. Tu me commandes d'etre genereuse. Je le
serai; mais je crains que cela ne nous rende encore plus malheureux tous
les trois... Tant que j'aime, il m'est impossible d'injurier ce que j'aime,
et quand j'ai dit une fois _je ne vous aime plus_, il est impossible a
mon coeur de retracter c
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