sses jusqu'ici dans son sillage.
La tentation etait bien forte de tenir pour nulle et non avenue la
priere de M. Jaeger, de pousser au large, et de continuer sans perdre
une minute un voyage dont le but attirait Serge Ladko comme l'aimant
attire le fer.
Le pilote se resigna pourtant a l'attente.
Il avait des obligations a l'egard de son passager, et, tout bien
considere, mieux valait perdre une journee et ne fournir aucun pretexte
a des contestations ulterieures.
Pour utiliser la fin de cette journee plus qu'a demi ecoulee deja,
le travail heureusement ne manquerait pas. Elle suffirait a peine a
remettre de l'ordre dans la barge et a reparer quelques petits degats
causes par la tempete.
Serge Ladko s'occupa tout d'abord de ranger les coffres dont il avait
bouleverse le contenu pendant ses infructueuses recherches de la
matinee. Cela ne lui aurait pas demande beaucoup de temps, si, en
achevant le rangement du dernier, son regard ne fut tombe sur ce meme
portefeuille qui avait precedemment sollicite l'attention de Karl
Dragoch. Ce portefeuille, le pilote l'ouvrit comme l'avait ouvert le
policier, et, comme celui-ci, mais agite de sentiments tout autres, il
en retira le portrait que Natcha lui avait remis a l'instant de leur
separation, avec une dedicace pleine de tendresse.
Un long moment, Serge Ladko contempla ce visage adorable. Natcha!..
C'etait bien elle!.. C'etaient bien ses traits cheris, ses yeux si purs,
ses levres entr'ouvertes comme si elles allaient parler!..
Avec un soupir, il replaca enfin la chere image dans le portefeuille et
le portefeuille dans le coffre, qu'il referma avec soin et dont il mit
la clef dans sa poche, puis il sortit du tot pour vaquer a d'autres
travaux.
Mais il n'avait plus de coeur a l'ouvrage. Bientot ses mains demeurerent
inactives, et, assis sur l'un des bancs, le dos tourne a la rive,
il laissa son regard errer sur le fleuve. Sa pensee s'envola vers
Roustchouk. Il vit sa femme, sa maison riante et pleine de chansons...
Certes, il ne regrettait rien. Sacrifier son propre bonheur a la patrie,
il le referait si c'etait a refaire... Quelle douleur pourtant qu'un
si cruel sacrifice eut ete a ce point inutile! La revolte eclatant
prematurement et ecrasee sans recours, combien d'annees encore
la Bulgarie gemirait-elle sous le joug des oppresseurs? Lui-meme
pourrait-il franchir la frontiere, et, s'il y parvenait, retrouverait-il
celle qu'il aimait? Les Turcs ne s'etaient-ils
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