irent. Personne,
dans ces groupes animes, ne parlait de Dragoch. On ne s'entretenait
pas davantage d'Ilia Brusch. Il n'etait question que de Ladko. De quel
Ladko? Non pas du pilote de Roustchouk, dont le nom avait ete utilise
par Striga de la maniere qu'on sait, mais precisement de ce Ladko
imaginaire qu'il avait ainsi cree de toutes pieces, du Ladko malfaiteur,
du Ladko pirate, c'est-a-dire de lui-meme, Striga. C'est sa propre
arrestation qui formait le sujet de la conversation generale.
Il ne parvenait pas a comprendre. Que la police commit une erreur et
arretat un innocent au lieu et place du coupable, il n'y avait a cela
rien de bien surprenant. Mais quel rapport avait cette erreur, dont il
pouvait mieux que personne certifier la realite, avec la presence de ce
bateau, que son chaland, la veille encore, avait a la traine?
On estimera, sans doute, qu'il faisait preuve de faiblesse en accordant
quelque interet a ce cote de la question. L'essentiel, c'etait qu'un
autre fut poursuivi a sa place. Pendant qu'on suspecterait celui-la,
on ne songerait pas a s'occuper de lui. C'etait le point important. Le
reste ne comptait pas.
Rien n'eut ete plus vrai, s'il n'avait eu des motifs particuliers de
vouloir etre renseigne a cet egard. A en juger d'apres les apparences,
tout portait a croire que l'homme incarcere et le maitre de la barge
ne faisaient qu'un. Quel etait cet inconnu, qui, apres avoir ete,
huit jours durant, prisonnier a bord du chaland, en remplacait si
complaisamment le proprietaire entre les griffes de la police? Striga,
certes, ne quitterait pas Semlin avant d'etre fixe sur ce point.
Il lui fallut s'armer de patience. M. Izar Rona, juge charge de cette
affaire, ne paraissait pas dispose a mener rondement l'instruction.
Trois jours s'ecoulerent sans qu'il donnat signe de vie. Cette attente
prealable faisait partie de sa methode. D'apres lui, il est excellent de
laisser tout d'abord un accuse aux prises avec la solitude. L'isolement
est un grand destructeur de force nerveuse, et quelques jours de secret
depriment merveilleusement l'adversaire que le juge va trouver en face
de lui.
M. Izar Rona, quarante-huit heures apres l'arrestation, exprimait ces
idees a Karl Dragoch venu aux informations. Le detective ne pouvait que
donner aux theories de son chef une approbation hierarchique.
"Enfin, monsieur le Juge, se risqua-t-il a demander, quand comptez-vous
proceder au premier interrogatoire?
--Demain.
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