t, en effet, assez exactement le premier
interrogatoire, en faisant suivre leur recit de commentaires qui
n'etaient pas precisement favorables a l'accuse. En general, ils
s'etonnaient de l'obstination avec laquelle celui-ci soutenait etre un
simple pecheur, du nom d'Ilia Brusch, habitant seul la petite ville de
Szalka. Quel interet pouvait-il avoir a soutenir un pareil systeme, dont
la fragilite etait evidente? Deja, d'apres eux, le juge d'instruction,
M. Izar Rona, avait envoye a Gran une commission rogatoire. D'ici
tres peu de jours, un magistrat se transporterait donc a Szalka et
se livrerait a une enquete qui aurait comme resultat de ruiner les
allegations du prevenu. On chercherait cet Ilia Brusch, et on le
trouverait ... s'il existait, ce qui, en somme, etait fort douteux.
Cette nouvelle modifia les projets de Striga. Tandis qu'il poursuivait
sa lecture, une idee singuliere lui etait venue, et l'idee prit corps,
quand il eut acheve de lire. Certes, il etait tres bon que la justice
tint un innocent. Mais il serait meilleur encore qu'elle le gardat. Pour
cela, que fallait-il? Lui fournir un Ilia Brusch en chair et en os, ce
qui convaincrait _ipso facto_ d'imposture le veritable Ilia Brusch qu'on
retenait prisonnier a Semlin. Cette charge s'ajouterait a celles qu'on
possedait deja forcement contre lui, puisqu'on l'avait arrete, et
suffirait peut-etre a motiver sa condamnation definitive, au grand
profit du vrai coupable.
Sans plus attendre, Striga quitta la ville. Seulement, au lieu de
regagner son chaland, il lui tournait le dos. Emporte par une rapide
voiture, il allait rejoindre la ligne ferree qui l'emmenerait a toute
vapeur vers Budapest et vers le Nord.
Pendant ce temps, Serge Ladko, gardant son immobilite coutumiere,
comptait tristement les heures. De sa premiere entrevue avec le juge,
il etait revenu effraye de la gravite des presomptions qui pesaient sur
lui. Certes, il reussirait fatalement avec le temps a faire triompher
son innocence. Mais il lui faudrait sans doute s'armer de patience, car
il ne pouvait meconnaitre que les apparences fussent contre lui et que
la justice n'eut bati avec logique son echafaudage d'hypotheses.
Toutefois, il y a loin entre de simples soupcons et des preuves
formelles. Or, des preuves, on n'arriverait jamais, et pour cause, a
en reunir contre lui. Le seul temoin qu'il eut a craindre, et encore
uniquement en ce qui concernait le secret de son nom, c'etait le
juif Simon
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