et le Montenegro, craignait que l'insurrection bulgare,
sur les derrieres de l'armee, ne compromit ses operations. Le gouverneur
de la Bulgarie, Chefkat-Pacha, recut-il l'ordre d'ecraser l'insurrection
sans regarder aux moyens? Cela est vraisemblable. Des bandes de
Bachi-Bouzouks et de Circassiens appelees d'Asie furent lachees sur
la Bulgarie, et en quelques jours elle fut mise a feu et a sang. Ils
assouvirent a l'aise leurs sauvages passions, brulerent les villages,
massacrerent les hommes au milieu des tortures les plus raffinees,
eventrerent les femmes, couperent en morceaux les enfants. Il y eut
environ vingt-cinq a trente mille victimes..."
Tandis qu'il lisait, des gouttes de sueur perlaient sur le visage
de Serge Ladko. Natcha!.. Qu'etait devenue Natcha, au milieu de cet
effroyable bouleversement?.. Vivait-elle encore? Etait-elle morte, au
contraire, et son cadavre eventre, coupe en morceaux, de meme que celui
de tant d'autres innocentes victimes, trainait-il dans la boue, dans la
fange, dans le sang, ecrase sous le pied des chevaux?
Serge Ladko s'etait leve, et, pareil a une bete fauve mise en cage,
courait furieusement autour de la cellule, comme s'il eut cherche une
issue pour voler au secours de Natcha.
Cet acces de desespoir fut de courte duree. Revenu bientot a la raison,
il se contraignit au calme, d'un energique effort, et, avec un cerveau
lucide, chercha les moyens de reconquerir sa liberte.
Aller trouver le juge, lui avouer sans detour la verite, implorer au
besoin sa pitie?.. Mauvais moyen. Quelle chance avait-il d'obtenir la
confiance d'un esprit prevenu, apres avoir si longtemps persevere dans
le mensonge? Etait-il en son pouvoir de detruire d'un seul mot la
suspicion attachee a son nom de Ladko, de ruiner en un instant les
presomptions qui l'accablaient? Non. Une enquete serait a tout le moins
necessaire, et une enquete exigerait des semaines, sinon des mois.
Il fallait donc fuir.
Pour la premiere fois depuis qu'il y etait entre, Serge Ladko examina
sa cellule. Ce fut vite fait. Quatre murs perces de deux ouvertures:
la porte d'un cote, la fenetre de l'autre. Derriere trois de ces murs,
d'autres cachots, d'autres prisons; derriere la fenetre seulement,
l'espace et la liberte.
L'enseuillement de cette fenetre, dont le linteau atteignait le plafond,
depassait un metre cinquante, et sa partie inferieure, ce qu'on eut
nomme l'appui pour une ouverture ordinaire, etait inaccessible, une
ran
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