penser a mal le secret rigoureux auquel etait astreint son prisonnier,
deposait sur la table en s'en allant.
Les heures coulerent. Le jour s'acheva, puis la nuit, et ce fut une
nouvelle aurore. Ecroule sur sa chaise, Serge Ladko n'avait pas
conscience de la fuite du temps.
Cependant, quand le jour grandissant vint frapper son visage, il parut
sortir de cet accablement. Il ouvrit les yeux, et son regard vague erra
par la cellule. La premiere chose qu'il apercut alors, ce fut le journal
laisse la veille par le pitoyable gardien.
Tel que celui-ci l'y avait place, ce journal s'etalait toujours sur
la table, decouvrant une _manchette_ imprimee en grasses capitales
au-dessous du titre. "Les massacres de Bulgarie", annoncait cette
manchette, sur laquelle tomba le premier regard de Serge Ladko. Il
tressaillit et s'empara febrilement du journal. Son intelligence
reveillee revenait a flots. Ses yeux fulguraient, tandis qu'il
poursuivait sa lecture.
Les evenements qu'il apprenait ainsi etaient, au meme instant, commentes
dans l'Europe entiere, et y soulevaient une clameur generale de
reprobation. Depuis, ils sont entres dans l'histoire, dont ils ne
forment pas la page la plus glorieuse.
Ainsi qu'il a ete rappele au debut de ce recit, toute la region
balkanique etait alors en ebullition. Des l'ete de 1875, l'Herzegovine
s'etait revoltee, et les troupes ottomanes envoyees contre elle
n'avaient pu la reduire. En mai 1876, la Bulgarie s'etant soulevee a son
tour, la Porte repondit a l'insurrection en concentrant une nombreuse
armee dans un vaste triangle ayant pour sommets Roustchouk, Widdin et
Sofia. Enfin, le 1er et le 2 juillet de cette annee 1876, la Serbie et
le Montenegro, entrant en scene a leur tour, avaient declare la guerre a
la Turquie. Les Serbes, commandes par le general russe Tchernaief,
apres avoir tout d'abord remporte quelques succes, avaient du battre en
retraite en deca de leur frontiere, et le 1er septembre le prince Milan
s'etait vu contraint de demander un armistice de dix jours, pendant
lequel il sollicita, des puissances chretiennes, une intervention que
celles-ci furent malheureusement trop longues a lui accorder.
"Alors," dit M. Edouard Driault, dans son _Histoire de la Question
d'Orient_, "se produisit le plus affreux episode de ces luttes; il
rappelle les massacres de Chio au temps de l'insurrection grecque. Ce
furent les massacres de Bulgarie. La Porte, au milieu de la guerre
contre la Serbie
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