ble, repondit Serge Ladko avec indifference. Je l'ai
achetee, il y a trois jours, d'un homme qui disait arriver de Vienne.
--Comment etait cet homme? demanda vivement Striga dont les soupcons
evoluaient vers Karl Dragoch.
--Un brun, avec des lunettes.
--Ah!... fit Striga tout songeur.
Les reponses du pilote l'avaient visiblement ebranle. Il ne savait plus
ce qu'il devait croire. Mais il ne tarda pas a liberer son esprit de
toute preoccupation. Qu'importait apres tout? Que Serge Ladko dit ou ne
dit pas la verite, il n'en etait pas moins entre ses mains. L'imbecile,
qui se jetait ainsi dans la gueule du loup!... Entre sur le chaland,
il n'en sortirait pas vivant. Voila des mois que Striga mentait en
affirmant a Natcha qu'elle etait veuve. Des qu'on serait en mer, ce
mensonge deviendrait une verite.
--Partons! dit-il en maniere de conclusion a ses pensees.
--A midi, repondit tranquillement Serge Ladko qui, sortant des
provisions d'un sac qu'il portait a la main, se mit en devoir de
dejeuner.
Le pirate eut un geste d'impatience. Serge Ladko feignit de n'en rien
voir.
--Je dois vous prevenir, dit Striga, que je tiens a etre a la mer avant
la nuit.
--Nous y serons," affirma le pilote, sans montrer la moindre velleite de
modifier sa decision.
Striga s'eloigna vers l'avant. A en juger par l'expression reflechie de
son visage, il lui restait un souci. Que le mari s'offrit a conduire
precisement le chaland dans lequel sa femme etait retenue prisonniere,
cette coincidence etait tout de meme par trop extraordinaire. Certes,
rien ne pouvant empecher que Serge Ladko ne fut seul a bord contre six
hommes determines, Striga eut sagement fait en ne cherchant pas plus
loin. Mais il se tenait en vain ce raisonnement irrefutable. C'etait
pour lui un besoin de savoir si la disparition de Natcha etait connue du
principal interesse. Sa curiosite surexcitee ne lui laissa pas de cesse
qu'il n'y eut cede.
"Avez-vous recu des nouvelles de Roustchouk depuis que vous l'avez
quitte? demanda-t-il en revenant vers le pilote qui continuait
paisiblement son repas.
--Jamais, repondit celui-ci.
--Ce silence ne vous a pas surpris?
--Pourquoi m'aurait-il surpris? demanda Serge Ladko en fixant son
interlocuteur.
Quelle que fut son audace, celui-ci se sentit gene sous ce ferme regard.
--Je croyais, balbutia-t-il, que vous y aviez laisse votre femme.
--Et moi je crois, repliqua froidement Serge Ladko, qu'un autre sujet de
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