appreciation plus juste ou plus profonde.
Quoi qu'il en soit, ce nouveau fragment de la philosophie d'Abelard nous
la montre sous un jour nouveau, et lui restitue le caractere que lui
attribue la tradition historique. Nous venons de le voir nominaliste,
non pas a la maniere de Roscelin, tel du moins qu'il le represente, mais
dans le sens ou l'on a coutume de prendre ce mot, et les historiens sont
plus qu'excuses d'avoir mele Abelard a ceux qui n'ont reconnu qu'une
existence verbale aux universaux. Cependant ce serait la une expression
incomplete de sa doctrine. Il est evident, par tous les extraits que
nous avons donnes, que, s'il rapportait au langage les genres et les
especes, c'etait au langage en tant qu'expression choisie et convenue
d'une pensee humaine[115], et par consequent, il est a proprement parler
conceptualiste. Puis, le conceptualisme ne lui suffit pas, car lorsqu'il
traite de la difference, de la forme, de la maniere enfin dont se
produisent les objets des universaux, on voit bien qu'il n'entend passe
borner a dresser une echelle intellectuelle; ce sont les noms des genres
et des especes, et non les etres, bases des conceptions, des genres et
des especes, non la nature de ces etres, qu'il traite d'abstraction; et
il y a dans toute se philosophie une distinction toujours presente entre
la logique et la physique. Dans la logique pure, les universaux ne sont
que les termes d'un langage de convention. Dans la physique, qui est
pour lui plus transcendante qu'experimentale, qui est se veritable
ontologie, les genres et les especes se fondent sur la maniere dont
les etres sont reellement produits et constitues[116]. Enfin, entre
la logique pure et la physique, il y a un milieu et comme une science
mitoyenne, qu'on peut appeler une psychologie, ou Abelard recherche
comment s'engendrent nos concepts, et retrace toute cette genealogie
intellectuelle des etres, tableau ou symbole de leur hierarchie et de
leur existence reelle[117]. On concoit donc que les historiens et les
critiques se soient quelquefois mepris en exposant et classant sa
doctrine. Elle est complexe et ambigue, et presente plus d'un aspect a
qui la veut observer. Elle n'est pas la seule, au reste, qui sur cette
question soit difficile a saisir, et l'incertitude avec laquelle on a de
tout temps caracterise sur ce point les sectes et leurs chefs, est un
fait remarquable. Ainsi nous avons vu Abelard et Jean de Salisbury
rattacher la meme doctrine, l'un
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