raison qui
avait pousse l'infortune Philippe a devoiler son caractere et sa
naissance. Philippe, enseveli a jamais sous son masque de fer,
exile dans un pays ou les hommes semblaient servir les elements;
Philippe, prive meme de la societe de d'Artagnan, qui l'avait
comble d'honneurs et de delicatesses n'avait plus a voir que des
spectres et des douleurs en ce monde, et le desespoir commencant a
le mordre, il se repandait en plaintes, croyant que les
revelations lui susciteraient un vengeur.
La facon dont le mousquetaire avait failli tuer ses deux meilleurs
amis, la destinee qui avait si etrangement amene Athos en
participation du secret d'Etat, les adieux de Raoul, l'obscurite
de cet avenir qui allait aboutir a une triste mort; tout cela
renvoyait incessamment d'Artagnan a de lamentables previsions, que
la rapidite de la marche ne dissipait pas comme jadis.
D'Artagnan passait de ces considerations au souvenir de Porthos et
d'Aramis proscrits. Il les voyait fugitifs, traques, ruines l'un
et l'autre, laborieux architectes d'une fortune qu'il leur
faudrait perdre; et, comme le roi appelait son homme d'execution
en un moment de vengeance et de rancune, d'Artagnan tremblait de
recevoir quelque commission dont son coeur eut saigne.
Parfois, montant les cotes, quand le cheval essouffle enflait ses
naseaux et developpait ses flancs, le capitaine, plus libre de
penser, songeait a ce prodigieux genie d'Aramis, genie d'astuce et
d'intrigue, comme en avaient produit deux la Fronde et la guerre
civile. Soldat, pretre et diplomate, galant, avide et ruse, Aramis
n'avait jamais pris les bonnes choses de la vie que comme
marchepied pour s'elever aux mauvaises. Genereux esprit, sinon
coeur d'elite, il n'avait jamais fait le mal que pour briller un
peu plus. Vers la fin de sa carriere, au moment de saisir le but,
il avait fait comme le patricien Fiesque, un faux pas sur une
planche, et etait tombe dans la mer.
Mais Porthos, ce bon et naif Porthos! Voir Porthos affame, voir
Mousqueton sans dorures, emprisonne peut-etre; voir Pierrefonds,
Bracieux, rases quant aux pierres, deshonores quant aux futaies,
c'etaient la autant de douleurs poignantes pour d'Artagnan, et,
chaque fois qu'une de ces douleurs le frappait, il bondissait
comme son cheval a la piqure du taon sous les voutes de feuillage.
Jamais l'homme d'esprit ne s'est ennuye s'il a le corps occupe par
la fatigue; jamais l'homme sain de corps n'a manque de trouver la
vie
|