fureur prenait les teintes de la rage, il doutait de lui, il
supposait que Fouquet s'etait abime dans un chemin souterrain, ou
qu'il avait relaye le cheval blanc par un de ces fameux chevaux
noirs, rapides comme le vent, dont d'Artagnan, a Saint-Mande,
avait tant de fois admire, envie la legerete vigoureuse.
A ces moments-la, quand le vent lui coupait les yeux et en faisait
jaillir des larmes, quand la selle brulait, quand le cheval,
entame dans sa chair vive, rugissait de douleur et faisait voler
sous ses pieds de derriere une pluie de sable fin et de cailloux,
d'Artagnan, se haussant sur l'etrier, et ne voyant rien sur l'eau,
rien sous les arbres, cherchait en l'air, comme un insense. Il
devenait fou. Dans le paroxysme de sa convoitise, il revait
chemins aeriens, decouverte du siecle suivant; il se rappelait
Dedale et ses vastes ailes, qui l'avaient sauve des prisons de la
Crete.
Un rauque soupir s'exhalait de ses levres. Il repetait, devore par
la crainte du ridicule:
-- Moi! moi! dupe par un Gourville, moi!... on dira que je
vieillis, on dira que j'ai recu un million pour laisser fuir
Fouquet!
Et il enfoncait ses deux eperons dans le ventre du cheval; il
venait de faire une lieue en deux minutes. Soudain, a l'extremite
d'un pacage, derriere des haies, il vit une forme blanche qui se
montra, disparut, et demeura enfin visible sur un terrain plus
eleve.
D'Artagnan tressaillit de joie; son esprit se rasserena aussitot.
Il essuya la sueur qui ruisselait de son front, desserra ses
genoux, libre desquels le cheval respira plus largement, et,
ramenant la bride, modera l'allure du vigoureux animal, son
complice dans cette chasse a l'homme. Il put alors etudier la
forme de la route, et sa position quant a Fouquet.
Le surintendant avait mis son cheval blanc hors d'haleine, en
traversant les terres molles. Il sentait le besoin de gagner un
sol plus dur, et tendait vers la route par la secante la plus
courte.
D'Artagnan, lui, n'avait qu'a marcher droit sous la rampe d'une
falaise qui le derobait aux yeux de son ennemi; de sorte qu'il le
couperait a son arrivee sur la route. La s'entamerait la course
reelle; la s'etablirait la lutte.
D'Artagnan fit respirer son cheval a pleins poumons.
Il remarqua que le surintendant prenait le trot, c'est-a-dire
qu'il faisait aussi souffler sa monture.
Mais on etait trop presse, de part et d'autre, pour demeurer
longtemps a cette allure. Le cheval blanc partit comme
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