ne comprendrai jamais, c'est que, au lieu de nous envoyer des
troupes, au lieu de nous envoyer des renforts en hommes, en
munitions et en vivres, on nous laisse sans bateaux, on laisse
Belle-Ile, sans arrivages, sans secours; c'est qu'au lieu
d'etablir avec nous une correspondance, soit par des signaux, soit
par des communications ecrites ou verbales, on intercepte toutes
relations avec nous. Voyons, Aramis, repondez-moi, ou plutot,
avant de me repondre, voulez-vous que je vous dise ce que j'ai
pense moi? Voulez-vous savoir quelle a ete mon idee, quelle
imagination m'est venue?
L'eveque leva la tete.
-- Eh bien! Aramis, continua Porthos, j'ai pense, j'ai eu l'idee,
je me suis imagine qu'il s'etait passe en France un evenement.
J'ai reve de M. Fouquet toute la nuit, j'ai reve de poissons
morts, d'oeufs casses, de chambres mal etablies, pauvrement
installees. Mauvais reves, mon cher d'Herblay! malencontres que
ces songes!
-- Porthos, qu'y a-t-il la-bas? interrompit Aramis en se levant
brusquement et montrant a son ami un point noir sur la ligne
empourpree de l'eau.
-- Une barque! dit Porthos; oui, c'est bien une barque. Ah! nous
allons enfin avoir des nouvelles.
-- Deux! s'ecria l'eveque en decouvrant une autre mature, deux!
trois! quatre!
-- Cinq! fit Porthos a son tour. Six! Sept! Ah! mon Dieu! c'est
une flotte! mon Dieu! mon Dieu!
-- Nos bateaux qui rentrent probablement, dit Aramis inquiet
malgre l'assurance qu'il affectait.
-- Il sont bien gros pour des bateaux de pecheurs, fit observer
Porthos; et puis ne remarquez-vous pas, cher ami, qu'ils viennent
de la Loire?
-- Ils viennent de la Loire... oui.
-- Et, tenez, tout le monde ici les a vus comme moi; voici que les
femmes et les enfants commencent a monter sur les jetees.
Un vieux pecheur passait.
-- Sont-ce nos barques? lui demanda Aramis.
Le vieillard interrogea les profondeurs de l'horizon.
-- Non, monseigneur, repondit-il; ce sont des bateaux-chalands du
service royal.
-- Des bateaux du service royal! repondit Aramis en tressaillant.
A quoi reconnaissez-vous cela?
-- Au pavillon.
-- Mais, dit Porthos, le bateau est a peine visible; comment,
diable, mon cher, pouvez-vous distinguer le pavillon?
-- Je vois qu'il y en a un, repliqua le vieillard; nos bateaux a
nous, et les chalands du commerce n'en ont pas. Ces sortes de
peniches qui viennent la, monsieur, servent ordinairement au
transport des troupes.
-- Ah! fit Ar
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