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compromettrais a jamais? La belle occasion pour quelqu'un qui
voudrait prendre le large! Pas de police, pas de gardes, pas
d'ordres; l'eau libre, la route franche, M. d'Artagnan oblige de
preter ses chevaux si on les lui demandait! Tout cela doit vous
rassurer, monsieur Fouquet; car le roi ne m'eut pas laisse ainsi
independant, s'il eut eu de mauvais desseins. En verite, monsieur
Fouquet, demandez-moi tout ce qui pourra vous etre agreable: je
suis a votre disposition; et seulement, si vous y consentez, vous
me rendrez un service; celui de souhaiter le bonjour a Aramis et a
Porthos, au cas ou vous embarqueriez pour Belle-Ile, ainsi que
vous avez le droit de le faire, sans desemparer, tout de suite, en
robe de chambre, comme vous voila.
Sur ces mots, et avec une profonde reverence, le mousquetaire,
dont les regards n'avaient rien perdu de leur intelligente
bienveillance, sortit de l'appartement et disparut.
Il n'etait pas aux degres du vestibule, que Fouquet, hors de lui,
se pendit a la sonnette et cria:
-- Mes chevaux! ma gabare!
Personne ne repondit.
Le surintendant s'habilla lui-meme de tout ce qu'il trouva sous sa
main.
-- Gourville!... Gourville!... cria-t-il tout en glissant sa
montre dans sa poche.
Et la sonnette joua encore, tandis que Fouquet repetait:
-- Gourville!... Gourville!...
Gourville parut, haletant, pale.
-- Partons! partons! cria le surintendant des qu'il le vit.
-- Il est trop tard! fit l'ami du pauvre Fouquet.
-- Trop tard! pourquoi?
-- Ecoutez!
On entendit des trompettes et un bruit de tambour devant le
chateau.
-- Quoi donc, Gourville?
-- Le roi qui arrive, monseigneur.
-- Le roi?
-- Le roi, qui a brule etapes sur etapes; le roi, qui a creve des
chevaux et qui avance de huit heures sur votre calcul.
-- Nous sommes perdus! murmura Fouquet. Brave d'Artagnan, va! tu
m'as parle trop tard!
Le roi arrivait, en effet, dans la ville; on entendit bientot le
canon du rempart et celui d'un vaisseau qui repondait du bas de la
riviere.
Fouquet fronca le sourcil, appela ses valets de chambre et se fit
habiller en ceremonie.
De sa fenetre, derriere les rideaux, il voyait l'empressement du
peuple et le mouvement d'une grande troupe qui avait suivi le
prince sans que l'on put deviner comment.
Le roi fut conduit au chateau en grande pompe, et Fouquet le vit
mettre pied a terre sous la herse et parler bas a l'oreille de
d'Artagnan, qui tenait l'etrier.
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