raite dont l'invincible ne puisse pas sortir.
-- A la bonne heure, notre allie! repondit la duchesse. Mais voici
qu'il se fait tard; est-ce que nous ne rentrons pas?
-- D'autant plus volontiers, madame, que j'ai mes preparatifs a
faire pour partir avec le roi.
-- A Paris! cria la duchesse au cocher.
Et le carrosse retourna vers le faubourg Saint-Antoine apres la
conclusion de ce traite qui livrait a la mort le dernier ami de
Fouquet, le dernier defenseur de Belle-Ile, l'ancien ami de Marie
Michon, le nouvel ennemi de la duchesse.
Chapitre CCXLIII -- Les deux gabares
D'Artagnan etait parti: Fouquet aussi etait parti, et lui avec une
rapidite que doublait le tendre interet de ses amis.
Les premiers moments de ce voyage, ou, pour mieux dire, de cette
fuite, furent troubles par la crainte incessante de tous les
chevaux, de tous les carrosses qu'on apercevait derriere le
fugitif.
Il n'etait pas naturel, en effet, que Louis XIV, s'il en voulait a
cette proie, la laissat echapper; le jeune lion savait deja la
chasse, et il avait des limiers assez ardents pour s'en reposer
sur eux.
Mais, insensiblement, toutes les craintes s'evanouirent; le
surintendant, a force de courir, mit une telle distance entre lui
et les persecuteurs, que, raisonnablement, nul ne le pouvait
atteindre. Quant a la contenance, ses amis la lui avaient faite
excellente. Ne voyageait-il pas pour aller joindre le roi a
Nantes, et la rapidite meme ne temoignait-elle pas de son zele.
Il arriva fatigue mais rassure, a Orleans, ou il trouva, grace aux
soins d'un courrier qui l'avait precede, une belle gabare a huit
rameurs.
Ces gabares, en forme de gondoles, un peu larges, un peu lourdes,
contenant une petite chambre couverte en forme de tillac et une
chambre de poupe formee par une tente, faisaient alors le service
d'Orleans a Nantes par la Loire; et ce trajet, long de nos jours,
paraissait alors plus doux et plus commode que la grande route
avec ses bidets de poste ou ses mauvais carrosses a peine
suspendus. Fouquet monta dans cette gabare, qui partit aussitot.
Les rameurs, sachant qu'ils avaient l'honneur de mener le
surintendant des finances, s'escrimaient de leur mieux, et ce mot
magique, les _finances_, leur promettait quelque bonne
gratification dont ils voulaient se rendre dignes.
La gabare vola sur les flots de la Loire. Un temps magnifique, un
de ces soleils levants qui empourprent les paysages, laissait au
fleuve toute
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