e, nous avons trouve bien
plus de resistance quand paraissait le malheur.
-- Je ne vous ai point arrete, monsieur, pour dire que j'avais un
ami, et que cet ami est M. de Guiche. Certes, il est bon et
genereux, pourtant, et il m'aime. J'ai vecu sous la tutelle d'une
autre amitie, aussi precieuse, aussi forte que celle dont vous
parlez, puisque c'est la votre.
-- Je n'etais pas un ami pour vous, Raoul, dit Athos.
-- Eh! monsieur, pourquoi?
-- Parce que je vous ai donne lieu de croire que la vie n'a qu'une
face, parce que, triste et severe, helas! j'ai toujours coupe pour
vous, sans le vouloir, mon Dieu! les bourgeons joyeux qui
jaillissent incessamment de l'arbre de la jeunesse; en un mot,
parce que, dans le moment ou nous sommes, je me repens de ne pas
avoir fait de vous un homme tres expansif, tres dissipe, tres
bruyant.
-- Je sais pourquoi vous me dites cela, monsieur. Non, vous avez
tort, ce n'est pas vous qui m'avez fait ce que je suis; c'est cet
amour qui m'a pris au moment ou les enfants n'ont que des
inclinations; c'est la constance naturelle a mon caractere, qui,
chez les autres creatures, n'est qu'une habitude. J'ai cru que je
serais toujours comme j'etais; j'ai cru que Dieu m'avait jete sur
une route toute defrichee, toute droite, bordee de fruits et de
fleurs. J'avais au-dessus de moi votre vigilance, votre force. Je
me suis cru vigilant et fort. Rien ne m'a prepare: je suis tombe
une fois, et cette fois m'a ote le courage pour toute ma vie. Il
est vrai de dire que je m'y suis brise. Oh! non, monsieur, vous
n'etes dans mon passe que pour mon bonheur: vous n'etes dans mon
avenir que comme un espoir. Non, je n'ai rien a reprocher a la vie
telle que vous me l'avez faite; je vous benis et je vous aime
ardemment.
-- Mon cher Raoul, vos paroles me font du bien. Elles me prouvent
que vous agirez un peu pour moi, dans le temps qui va suivre.
-- Je n'agirai que pour vous, monsieur.
-- Raoul, ce que je n'ai jamais fait a votre egard, je le ferai
desormais. Je serai votre ami, non plus votre pere. Nous vivrons
en nous repandant, au lieu de vivre en nous tenant prisonniers,
lorsque vous serez revenu. Ce sera bientot, n'est-ce pas?
-- Certes, Monsieur, car une expedition pareille ne saurait etre
longue...
-- Bientot alors, Raoul, bientot, au lieu de vivre modiquement sur
mon revenu, je vous donnerai le capital mes terres. Il vous
suffira pour vous lancer dans le monde jusqu'a ma mort, et vous me
d
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