. Le service commande
par M. de Beaufort s'accomplissait heureusement. La flottille,
dirigee sur Toulon par les soins de Raoul, etait partie, trainant
apres elle, dans de petites nacelles presque invisibles, les
femmes et les amis des pecheurs et des contrebandiers, mis en
requisition pour le service de la flotte.
Le temps si court qui restait au pere et au fils pour vivre
ensemble semblait avoir double de rapidite, comme s'accroit la
vitesse de tout ce qui penche a tomber dans le gouffre de
l'eternite.
Athos et Raoul revinrent a Toulon, qui s'emplissait du bruit des
chariots, du bruit des armures, du bruit des chevaux hennissants.
Les trompettes sonnaient leurs marches, les tambours signalaient
leur vigueur, les rues regorgeaient de soldats, de valets et de
marchands.
Le duc de Beaufort etait partout, activant l'embarquement avec le
zele et l'interet d'un bon capitaine. Il caressait ses compagnons
jusqu'aux plus humbles; il gourmandait ses lieutenants; meme les
plus considerables.
Artillerie, provisions, bagages, il voulut tout voir par lui-meme;
il examina l'equipement de chaque soldat, s'assura de la sante de
chaque cheval. On sentait que, leger, vantard, egoiste dans son
hotel, le gentilhomme redevenait soldat, le grand seigneur
capitaine, vis-a-vis de la responsabilite qu'il avait acceptee.
Cependant, il faut bien le dire, quel que fut le soin qui presida
aux apprets du depart, on y reconnaissait la precipitation
insouciante et l'absence de toute precaution qui font du soldat
francais le premier soldat du monde, parce qu'il en est le plus
abandonne a ses seules ressources physiques et morales.
Toutes choses ayant satisfait ou paru satisfaire l'amiral, il fit
a Raoul ses compliments et donna les derniers ordres pour
l'appareillage, qui fut fixe au lendemain a la pointe du jour.
Il invita le comte et son fils a diner avec lui. Ceux-ci
pretexterent quelques necessites du service et se mirent a
l'ecart. Gagnant leur hotellerie, situee sous les arbres de la
grande place, ils prirent leur repas a la hate, et Athos conduisit
Raoul sur les rochers qui dominent la ville, vastes montagnes
grises d'ou la vue est infinie, et embrasse un horizon liquide qui
semble, tant il est loin, de niveau avec les rochers eux-memes.
La nuit etait belle comme toujours en ces heureux climats. La
lune, se levant derriere les rochers, deroulait comme une nappe
argentee sur le tapis bleu de la mer. Dans la rade, manoeuvraient
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