lecteurs savent pour quelle raison. Mais
le prince, ne croyant pas que cette absence put se prolonger,
voulait, comme tous les esprits temeraires, essayer sa valeur et
sa fortune, loin de toute protection, de tout conseil.
Une autre raison l'y poussait. Anne d'Autriche allait paraitre; la
mere coupable allait se trouver en presence de son fils sacrifie.
Philippe ne voulait pas, s'il avait une faiblesse, en rendre
temoin l'homme envers lequel il etait desormais tenu de deployer
tant de force.
Philippe ouvrit les deux battants de la porte, et plusieurs
personnes entrerent silencieusement. Philippe ne bougea point tant
que ses valets de chambre l'habillerent. Il avait vu, la veille,
les habitudes de son frere. Il fit le roi, de maniere a n'eveiller
aucun soupcon.
Ce fut donc tout habille, avec l'habit de chasse, qu'il recut les
visiteurs. Sa memoire et les notes d'Aramis lui annoncerent tout
d'abord Anne d'Autriche, a laquelle Monsieur donnait la main, puis
Madame avec M. de Saint-Aignan.
Il sourit en voyant ces visages, et frissonna en reconnaissant sa
mere.
Cette figure noble et imposante, ravagee par la douleur, vint
plaider dans son coeur la cause de cette fameuse reine qui avait
immole un enfant a la raison d'Etat. Il trouva que sa mere etait
belle. Il savait que Louis XIV l'aimait, il se promit de l'aimer
aussi, et de ne pas etre pour sa vieillesse un chatiment cruel.
Il regarda son frere avec un attendrissement facile a comprendre.
Celui-ci n'avait rien usurpe, rien gate dans sa vie. Rameau
ecarte, il laissait monter la tige, sans souci de l'elevation et
de la majeste de sa vie. Philippe se promit d'etre bon frere, pour
ce prince auquel suffisait l'or, qui donne les plaisirs.
Il salua d'un air affectueux Saint-Aignan, qui s'epuisait en
sourires et reverences, et tendit la main en tremblant a
Henriette, sa belle-soeur, dont la beaute le frappa. Mais il vit
dans les yeux de cette princesse un reste de froideur qui lui plut
pour la facilite de leurs relations futures.
"Combien me sera-t-il plus aise, pensait-il, d'etre le frere de
cette femme que son galant, si elle me temoigne une froideur que
mon frere ne pouvait avoir pour elle, et qui m'est imposee comme
un devoir."
La seule visite qu'il redoutat en ce moment etait celle de la
reine; son coeur, son esprit venaient d'etre ebranles par une
epreuve si violente, que, malgre leur trempe solide, ils ne
supporteraient peut-etre pas un nouveau choc.
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