minute de votre vie! on vous aime,
cela signifie que vous pouvez tout entendre, meme le conseil d'un
ami qui veut vous menager votre bonheur. On vous aime, de Guiche,
on vous aime! Vous ne passerez point ces nuits atroces, ces nuits
sans fin que traversent, l'oeil aride et le coeur devore, d'autres
gens destines a mourir. Vous vivrez longtemps, si vous faites
comme l'avare qui, brin a brin, miette a miette, caresse et
entasse diamants et or. On vous aime! permettez-moi de vous dire
ce qu'il faut faire pour qu'on vous aime toujours.
De Guiche regarda quelque temps ce malheureux jeune homme a moitie
fou de desespoir, et il lui passa dans l'ame comme un remords de
son bonheur.
Raoul se remettait de son exaltation fievreuse pour prendre la
voix et la physionomie d'un homme impassible.
-- On fera souffrir, dit-il, celle dont je voudrais encore pouvoir
dire le nom. Jurez-moi, non seulement que vous n'y aiderez en
rien, mais encore que vous la defendrez quand il se pourra, comme
je l'eusse fait moi-meme.
-- Je le jure! repliqua de Guiche.
-- Et, dit Raoul, un jour que vous lui aurez rendu quelque grand
service, un jour qu'elle vous remerciera, promettez-moi de lui
dire ces paroles: "Je vous ai fait ce bien, madame, sur la
recommandation de M. de Bragelonne, a qui vous avez fait tant de
mal."
-- Je le jure! murmura de Guiche attendri.
-- Voila tout. Adieu! Je pars demain ou apres pour Toulon. Si vous
avez quelques heures, donnez-les-moi.
-- Tout! tout! s'ecria le jeune homme.
-- Merci!
-- Et qu'allez-vous faire de ce pas?
-- Je m'en vais retrouver M. le comte chez Planchet, ou nous
esperons trouver M. d'Artagnan.
-- M. d'Artagnan?
-- Je veux l'embrasser avant mon depart. C'est un brave homme qui
m'aimait. Adieu, cher ami; on vous attend sans doute, vous me
retrouverez, quand il vous plaira, au logis du comte. Adieu!
Les deux jeunes gens s'embrasserent. Ceux qui les eussent vus
ainsi l'un et l'autre n'eussent pas manque de dire en montrant
Raoul: "C'est celui-la qui est l'homme heureux."
Chapitre CCXXXV -- L'inventaire de Planchet
Athos, pendant la visite faite au Luxembourg par Raoul, etait
alle, en effet, chez Planchet pour avoir des nouvelles de
d'Artagnan.
Le gentilhomme, en arrivant rue des Lombards, trouva la boutique
de l'epicier fort encombree; mais ce n'etait pas l'encombrement
d'une vente heureuse ou celui d'un arrivage de marchandises.
Planchet ne tronait pas comme d'h
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