adiers, les figuiers courbaient sous le poids de leurs fruits
d'or et d'azur. Tout autour de ce jardin, dans sa partie inculte,
les perdrix rouges couraient par bandes dans les ronces et dans
les touffes de genevriers, et, a chaque pas que faisaient Raoul et
le comte, un lapin effraye quittait les marjolaines et les
bruyeres pour rentrer dans son terrier.
En effet, cette bienheureuse ile etait inhabitee. Plate, n'offrant
qu'une anse pour l'arrivee des embarcations, et sous la protection
du gouverneur, qui partageait avec eux, les contrebandiers s'en
servaient comme d'un entrepot provisoire, a la charge de ne point
tuer le gibier ni devaster le jardin. Moyennant ce compromis, le
gouverneur se contentait d'une garnison de huit hommes pour garder
sa forteresse, dans laquelle moisissaient douze canons. Ce
gouverneur etait donc un heureux metayer, recoltant vins, figues,
huiles et oranges, faisant confire ses citrons et ses cedrats au
soleil de ses casemates.
La forteresse, ceinte d'un fosse profond, son seul gardien, levait
comme trois tetes ses trois tourelles, liees l'une a l'autre par
des terrasses de mousse.
Athos et Raoul longerent pendant quelque temps les clotures du
jardin sans trouver quelqu'un qui les introduisit chez le
gouverneur. Ils finirent par entrer dans le jardin. C'etait le
moment le plus chaud de la journee.
Alors tout se cache sous l'herbe et sous la pierre. Le ciel etend
ses voiles de feu comme pour etouffer tous les bruits, pour
envelopper toutes les existences. Les perdrix sous les genets, la
mouche sous la feuille, s'endorment comme le flot sous le ciel.
Athos apercut seulement sur la terrasse, entre la deuxieme et la
troisieme cour, un soldat qui portait comme un panier de
provisions sur sa tete. Cet homme revint presque aussitot sans son
panier, et disparut dans l'ombre de la guerite.
Athos comprit que cet homme portait a diner a quelqu'un et que,
apres avoir fait son service, il revenait diner lui-meme.
Tout a coup il s'entendit appeler, et, levant la tete, apercut
dans l'encadrement des barreaux d'une fenetre quelque chose de
blanc, comme une main qui s'agitait, quelque chose d'eblouissant,
comme une arme frappee des rayons du soleil.
Et, avant qu'il se fut rendu compte de ce qu'il venait de voir,
une trainee lumineuse, accompagnee d'un sifflement dans l'air,
appela son attention du donjon sur la terre.
Un second bruit mat se fit entendre dans le fosse, et Raoul courut
rama
|