et,
puisque vous savez, d'apres l'ordre du roi, qu'il y a peine de
mort contre quiconque le penetrera, je vais, si vous le voulez,
vous laisser lire et vous faire fusiller aussitot apres.
Pendant cette apostrophe, moitie serieuse moitie ironique, Athos
et Raoul gardaient un silence plein de sang-froid.
-- Mais il est impossible, dit le gouverneur, que ces messieurs ne
comprennent pas au moins quelques mots.
-- Laissez donc! quand bien meme ils comprendraient ce qu'on
parle, ils ne liraient pas ce que l'on ecrit. Ils ne le liraient
meme pas en espagnol. Un noble espagnol, souvenez-vous-en, ne doit
jamais savoir lire.
Il fallut que le gouverneur se contentat de ces explications, mais
il etait tenace.
-- Invitez ces messieurs a venir au fort, dit-il.
-- Je le veux bien, et j'allais vous le proposer, repliqua
d'Artagnan.
Le fait est que le capitaine avait une tout autre idee, et qu'il
eut voulu voir ses amis a cent lieues. Mais force lui fut de tenir
bon.
Il adressa en espagnol aux deux gentilshommes une invitation que
ceux-ci accepterent.
On se dirigea vers l'entree du fort, et, l'incident etant vide,
les huit soldats retournerent a leurs doux loisirs, un moment
troubles par cette aventure inouie.
Chapitre CCXXXVIII -- Captif et geoliers
Une fois entres dans le fort, et tandis que le gouverneur faisait
quelques preparatifs pour recevoir ses hotes:
-- Voyons, dit Athos, un mot d'explication pendant que nous sommes
seuls.
-- Le voici simplement, repondit le mousquetaire. J'ai conduit a
l'ile un prisonnier que le roi defend qu'on voie; vous etes
arrives, il vous a jete quelque chose par son guichet de fenetre;
j'etais a diner chez le gouverneur, j'ai vu jeter cet objet, j'ai
vu Raoul le ramasser. Il ne me faut pas beaucoup de temps pour
comprendre, j'ai compris, et je vous ai crus d'intelligence avec
mon prisonnier. Alors...
-- Alors vous avez commande qu'on nous fusillat.
-- Ma foi! je l'avoue; mais, si j'ai le premier saute sur un
mousquet, heureusement j'ai ete le dernier a vous mettre en joue.
-- Si vous m'eussiez tue, d'Artagnan, il m'arrivait ce bonheur de
mourir pour la maison royale de France; et c'est un signe
d'honneur de mourir par votre main, a vous, son plus noble et son
plus loyal defenseur.
-- Bon! Athos, que me contez-vous la de la maison royale? balbutia
d'Artagnan. Comment! vous, comte, un homme sage et bien avise,
vous croyez a ces folies ecrites par un insense
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