s bas, mordioux! s'ecria le capitaine aux soldats. J'etais
bien sur de ce que je disais, moi!
Les soldats releverent leurs mousquets.
-- Que nous arrive-t-il donc? demanda Athos. Quoi! on nous fusille
sans nous avertir?
-- C'est moi qui allais vous fusiller, repliqua d'Artagnan; et, si
le gouverneur vous a manques, je ne vous eusse pas manques, moi,
chers amis. Quel bonheur que j'aie pris l'habitude de viser
longtemps, au lieu de tirer d'instinct en visant! J'ai cru vous
reconnaitre. Ah! mes chers amis, quel bonheur!
Et d'Artagnan s'essuyait le front, car il avait couru vite, et
l'emotion chez lui n'etait pas feinte.
-- Comment! fit le comte, ce monsieur qui a tire sur nous est le
gouverneur de la forteresse?
-- En personne.
-- Et pourquoi tirait-il sur nous? que lui avons-nous fait?
-- Pardieu! vous avez recu ce que le prisonnier vous a jete.
-- C'est vrai!
-- Ce plat... le prisonnier a ecrit quelque chose dessus, n'est-ce
pas?
-- Oui.
-- Je m'en etais doute. Ah! mon Dieu!
Et, d'Artagnan, avec toutes les marques d'une inquietude mortelle,
s'empara du plat pour en lire l'inscription. Quand il eut lu, la
paleur couvrit son visage.
-- Oh! mon Dieu! repeta-t-il. Silence! Voici le gouverneur qui
vient.
-- Et que nous fera-t-il? Est-ce notre faute?...
-- C'est donc vrai? dit Athos a demi-voix, c'est donc vrai?
-- Silence! vous dis-je, silence! Si l'on croit que vous savez
lire, si l'on suppose que vous avez compris, je vous aime bien,
chers amis, je me ferais tuer pour vous... mais...
-- Mais... dirent Athos et Raoul.
-- Mais je ne vous sauverais pas d'une eternelle prison, si je
vous sauvais de la mort. Silence, donc! silence encore!
Le gouverneur arrivait, ayant franchi le fosse sur une passerelle
de planche.
-- Eh bien! dit-il a d'Artagnan, qui vous arrete?
-- Vous etes des Espagnols, vous ne comprenez pas un mot de
francais, dit vivement le capitaine, bas, a ses amis. Eh bien!
reprit-il en s'adressant au gouverneur, j'avais raison, ces
messieurs sont deux capitaines espagnols que j'ai connus a Ypres,
l'an passe... Ils ne savent pas un mot de francais.
-- Ah! fit le gouverneur avec attention.
Et il chercha a lire l'inscription du plat.
D'Artagnan le lui ota des mains, en effacant les caracteres a
coups de pointe d'epee.
-- Comment! s'ecria le gouverneur, que faites-vous? Je ne puis
donc pas lire?
-- C'est le secret de l'Etat, repliqua nettement d'Artagnan,
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