vous aviez une dame la-haut, repondit
Athos avec son sang-froid habituel, nous eussions demande a la
saluer.
Planchet fut si decontenance par cette exquise impertinence, qu'il
forca le passage et ouvrit lui-meme la porte pour faire entrer le
comte et son fils.
Truechen etait tout a fait vetue: costume de marchande riche et
coquette; oeil d'Allemande aux prises avec des yeux francais. Elle
ceda la place apres deux reverences, et descendit a la boutique.
Mais ce ne fut pas sans avoir ecoute aux portes pour savoir ce que
diraient d'elle a Planchet les gentilshommes ses visiteurs.
Athos s'en doutait bien, et ne mit pas la conversation sur ce
chapitre.
Planchet, lui, grillait de donner des explications devant
lesquelles fuyait Athos.
Aussi, comme certaines tenacites sont plus fortes que toutes les
autres, Athos fut-il force d'entendre Planchet raconter ses
idylles de felicite, traduites en un langage plus chaste que celui
de Longus.
Ainsi Planchet raconta-t-il que Truechen avait charme son age mur
et porte bonheur a ses affaires, comme Ruth a Booz.
-- Il ne vous manque plus que des heritiers de votre prosperite,
dit Athos.
-- Si j'en avais un, celui-la aurait trois cent mille livres,
repliqua Planchet.
-- Il faut l'avoir, dit flegmatiquement Athos, ne fut-ce que pour
ne pas laisser perdre votre petite fortune.
Ce mot: petite fortune, mit Planchet a son rang, comme autrefois
la voix du sergent quand Planchet n'etait que piqueur dans le
regiment de Piemont, ou l'avait place Rochefort.
Athos comprit que l'epicier epouserait Truechen, et que, bon gre
mal gre, il ferait souche.
Cela lui apparut d'autant plus evidemment, qu'il apprit que le
garcon auquel Planchet vendait son fonds etait un cousin de
Truechen.
Athos se souvint que ce garcon etait rouge de teint comme une
giroflee, crepu de cheveux et carre d'epaules.
Il savait tout ce qu'on peut, tout ce qu'on doit savoir sur le
sort d'un epicier. Les belles robes de Truechen ne payaient pas
seules l'ennui qu'elle eprouverait a s'occuper de nature champetre
et de jardinage en compagnie d'un mari grisonnant.
Athos comprit donc, comme nous l'avons dit, et, sans transition:
-- Que fait M. d'Artagnan? dit-il. On ne l'a pas trouve au Louvre.
-- Ah! monsieur le comte, M. d'Artagnan a disparu.
-- Disparu? fit Athos avec surprise.
-- Oh! monsieur, nous savons ce que cela veut dire.
-- Mais, moi, je ne le sais pas.
-- Quand M. d'Artagnan
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