ai vecu trente ans, et que
je suis au bout de ma vie.
-- Alors, dit Athos froidement, vous partez avec l'intention
d'aller vous faire tuer en Afrique? oh! dites-le... ne mentez pas.
Raoul palit et se tut pendant deux secondes, qui furent pour son
pere deux heures d'agonie, puis tout a coup:
-- Monsieur, dit-il, j'ai promis de me donner a Dieu. En echange
de ce sacrifice que je fais de ma jeunesse et de ma liberte, je ne
lui demanderai qu'une chose: c'est de me conserver pour vous,
parce que vous etes le seul lien qui m'attache encore a ce monde.
Dieu seul peut me donner la force pour ne pas oublier que je vous
dois tout, et que rien ne me doit etre avant vous.
Athos embrassa tendrement son fils et lui dit:
-- Vous venez de me repondre une parole d'honnete homme; dans deux
jours, nous serons chez M. de Beaufort, a Paris: et c'est vous qui
ferez alors ce qu'il vous conviendra de faire. Vous etes libre,
Raoul. Adieu!
Et il gagna lentement sa chambre a coucher.
Raoul descendit dans le jardin, ou il passa la nuit dans l'allee
des tilleuls.
Chapitre CCXXXIV -- Preparatifs de depart
Athos ne perdit plus le temps a combattre cette immuable
resolution. Il mit tous ses soins a faire preparer, pendant les
deux jours que le duc lui avait accordes, tout l'equipage de
Raoul. Ce travail regardait le bon Grimaud, lequel s'y appliqua
sur-le-champ, avec le coeur et l'intelligence qu'on lui connait.
Athos donna ordre a ce digne serviteur de prendre la route de
Paris quand les equipages seraient prets, et, pour ne pas
s'exposer a faire attendre le duc ou, tout au moins, a mettre
Raoul en retard si le duc s'apercevait de son absence, il prit,
des le lendemain de la visite de M. de Beaufort, le chemin de
Paris avec son fils.
Ce fut pour le pauvre jeune homme une emotion bien facile a
comprendre que celle d'un retour a Paris, au milieu de tous les
gens qui l'avaient connu et qui l'avaient aime.
Chaque visage rappelait, a celui qui avait tant souffert une
souffrance, a celui qui avait tant aime, une circonstance de son
amour. Raoul, en se rapprochant de Paris, se sentait mourir. Une
fois a Paris, il n'exista reellement plus. Lorsqu'il arriva chez
M. de Guiche, on lui expliqua que M. de Guiche etait chez
Monsieur.
Raoul prit le chemin du Luxembourg, et, une fois arrive, sans
s'etre doute qu'il allait dans un endroit ou La Valliere avait
vecu, il entendit tant de musique et respira tant de parfums, il
entendi
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