uite, ce qui n'etait
pas manifeste, les fuyards avaient cinq bonnes heures d'avance sur
les poursuivants.
Aramis pensa que se reposer n'etait pas imprudence, mais que
continuer etait un coup de partie. En effet, vingt lieues de plus
fournies avec cette rapidite, vingt lieues devorees, et nul, pas
meme d'Artagnan, ne pourrait rattraper les ennemis du roi.
Aramis fit donc a Porthos le chagrin de remonter a cheval. On
courut jusqu'a sept heures du soir; on n'avait plus qu'une poste
pour arriver a Blois.
Mais, la, un contretemps diabolique vint alarmer Aramis. Les
chevaux manquaient a la poste.
Le prelat se demanda par quelle machination infernale ses ennemis
etaient arrives a lui oter le moyen d'aller plus loin, lui qui ne
reconnaissait pas le hasard pour un dieu, lui qui trouvait a tout
resultat sa cause; il aimait mieux croire que le refus du maitre
de poste, a une pareille heure, dans un pareil pays, etait la
suite d'un ordre emane de haut; ordre donne en vue d'arreter court
le faiseur de majeste dans sa fuite.
Mais, au moment ou il allait s'emporter pour avoir, soit une
explication, soit un cheval, une idee lui vint. Il se rappela que
le comte de La Fere logeait dans les environs.
-- Je ne voyage pas, dit-il, et je ne fais pas poste entiere.
Donnez-moi deux chevaux pour aller rendre visite a un seigneur de
mes amis qui habite pres d'ici.
-- Quel seigneur? demanda le maitre de poste.
-- M. le comte de La Fere.
-- Oh! repondit cet homme en se decouvrant avec respect, un digne
seigneur. Mais, quel que soit mon desir de lui etre agreable, je
ne puis vous donner deux chevaux; tous ceux de ma poste sont
retenus par M. le duc de Beaufort.
-- Ah! fit Aramis desappointe.
-- Seulement, continua le maitre de poste, s'il vous plait de
monter dans un petit chariot que j'ai, j'y ferai mettre un vieux
cheval aveugle qui n'a plus que des jambes, et qui vous conduira
chez M. le comte de La Fere.
-- Cela vaut un louis, dit Aramis.
-- Non, monsieur, cela ne vaut jamais qu'un ecu; c'est le prix que
me paie M. Grimaud, l'intendant du comte, toutes les fois qu'il se
sert de mon chariot, et je ne voudrais pas que M. le comte eut a
me reprocher d'avoir fait payer trop cher un de ses amis.
-- Ce sera comme il vous plaira, dit Aramis, et surtout comme il
plaira au comte de La Fere, que je me garderai bien de desobliger.
Vous aurez votre ecu; seulement, j'ai bien le droit de vous donner
un louis pour votre idee
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