.
-- Sans doute, repliqua le maitre tout joyeux.
Et il attela lui-meme son vieux cheval a la carriole criarde.
Pendant ce temps-la, Porthos etait curieux a voir. Il se figurait
avoir decouvert le secret; il ne se sentait pas d'aise: d'abord,
parce que la visite chez Athos lui etait particulierement
agreable; ensuite, parce qu'il etait dans l'esperance de trouver a
la fois un bon lit et un bon souper.
Le maitre, ayant fini d'atteler, proposa un de ses valets pour
conduire les etrangers a La Fere.
Porthos s'assit dans le fond avec Aramis et lui dit a l'oreille:
-- Je comprends.
-- Ah! ah! repondit Aramis; et que comprenez-vous, cher ami?
-- Nous allons, de la part du roi, faire quelque grande
proposition a Athos.
-- Peuh! fit Aramis.
-- Ne me dites rien, ajouta le bon Porthos en essayant de
contrepeser assez solidement pour eviter les cahots; ne me dites
rien, je devinerai.
-- Eh bien! c'est cela, mon ami, devinez, devinez.
On arriva vers neuf heures du soir chez Athos, par un clair de
lune magnifique.
Cette admirable clarte rejouissait Porthos au-dela de toute
expression; mais Aramis s'en montra incommode a un degre presque
egal. Il en temoigna quelque chose a Porthos, qui lui repondit:
-- Bien! je devine encore. La mission est secrete.
Ce furent ses derniers mots en voiture.
Le conducteur les interrompit par ceux-ci:
-- Messieurs, vous etes arrives.
Porthos et son compagnon descendirent devant la porte du petit
chateau.
C'est la que nous allons retrouver Athos et Bragelonne, disparus
tous deux depuis la decouverte de l'infidelite de La Valliere.
S'il est un mot plein de verite, c'est celui-ci: les grandes
douleurs renferment en elles-memes le germe de leur consolation.
En effet, cette douloureuse blessure faite a Raoul avait rapproche
de lui son pere, et Dieu sait si elles etaient douces, les
consolations qui coulaient de la bouche eloquente et du coeur
genereux d'Athos.
La blessure ne s'etait point cicatrisee; mais Athos, a force de
converser avec son fils, a force de meler un peu de sa vie a lui
dans celle du jeune homme, avait fini par lui faire comprendre que
cette douleur de la premiere infidelite est necessaire a toute
existence humaine, et que nul n'a aime sans la connaitre.
Raoul ecoutait souvent, il n'entendait pas. Rien ne remplace, dans
le coeur vivement epris, le souvenir et la pensee de l'objet aime.
Raoul repondait alors a son pere:
-- Monsieur, tou
|