ntes, un petit bassin
assez frais, et quelques buissons de ces ronces gigantesques qui sont
les lianes de nos climats. Mais ce coin de paradis sauvage que mes
enfants et moi avions decouvert en 1844, avec des cris de surprise et de
joie, n'est plus qu'un joli endroit comme tant d'autres.
Le chateau de _Blanchemont_ avec son paysage, sa garenne et sa ferme,
existe tel que je l'ai fidelement depeint; seulement il s'appelle
autrement, et les Bricolin sont des types fictifs. La folle qui joue
un role dans cette histoire, m'est apparue ailleurs: c'etait aussi une
folle par amour. Elle fit une si penible impression sur mes compagnons
de voyage et sur moi, que malgre vingt lieues de pays que nous
avions faites pour explorer les ruines d'une magnifique abbaye de la
renaissance, nous ne pumes y rester plus d'une heure. Cette malheureuse
avait adopte ce lieu melancolique pour sa promenade machinale,
constante, eternelle. La fievre avait brule l'herbe sous ses pieds
obstines, la fievre du desespoir!
GEORGE SAND.
Nohant, 5 septembre 1852.
A SOLANGE ***.
Mon enfant, cherchons ensemble.
PREMIERE JOURNEE.
I.
INTRODUCTION.
Une heure du matin sonnait a Saint-Thomas-d'Aquin, lorsqu'une forme
noire, petite et rapide, se glissa le long du grand mur ombrage d'un de
ces beaux jardins qu'on trouve encore a Paris sur la rive gauche de la
Seine, et qui ont tant de prix au milieu d'une capitale. La nuit etait
chaude et sereine. Les daturas en fleurs exhalaient de suaves parfums,
et se dressaient comme de grands spectres blancs sous le regard brillant
de la pleine lune. Le style du large perron de l'hotel de Blanchemont
avait encore un vieux air de splendeur, et le jardin vaste et bien
entretenu rehaussait l'opulence apparente de cette demeure silencieuse,
ou pas une lumiere ne brillait aux fenetres.
Cette circonstance d'un superbe clair de lune, donnait bien quelque
inquietude a la jeune femme en deuil qui se dirigeait, en suivant
l'allee la plus sombre, vers une petite porte situee a l'extremite du
mur. Mais elle n'y allait pas moins avec resolution, car ce n'etait pas
la premiere fois qu'elle risquait sa reputation pour un amour pur et
desormais legitime; elle etait veuve depuis un mois.
Elle profita du rempart que lui faisait un massif d'acacias pour arriver
sans bruit jusqu'a la petite porte de degagement qui donnait sur une rue
etroite et peu frequentee. Presque au meme moment, cette porte s'ouvrit,
et
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