eillir lui-meme.
--Vous etes si bons, et votre pays est si beau, que je voudrais passer
ma vie ici, dit Marcelle avec abandon.
--Vrai? dit le meunier en souriant avec bonhomie; eh! si le coeur vous
en dit... Vous voyez bien, mere, que notre pays n'est pas si laid que
vous croyez. Quand je vous dis, moi, qu'une personne riche pourrait s'y
trouver bien!
--Oui! dit la meuniere, a condition d'y batir un chateau, et encore ce
serait un chateau bien mal place.
--Est-il possible que vous vous deplaisiez ici? reprit Marcelle etonnee.
--Oh! moi, je ne m'y deplais pas, repondit la vieille. J'y ai passe ma
vie et j'y mourrai, s'il plait a Dieu. J'ai eu le temps de m'y habituer,
depuis soixante et quinze ans que j'y regne; et, d'ailleurs, on est bien
force de se contenter du pays qu'on a. Mais vous, Madame, s'il vous
fallait passer l'hiver ici, vous ne diriez pas que le pays est beau.
Quand les grandes eaux couvrent tous nos pres, et que nous ne pouvons
plus meme sortir dans notre cour, non, non, ca n'est pas joli!
--Bah! bah! les femmes s'effraient toujours, dit le Grand-Louis. Vous
savez bien que les eaux n'emporteront pas la maison, et que le moulin
est bien garanti. Et puis quand le mauvais temps vient, il faut bien le
prendre comme il est. Tout l'hiver, vous demandez l'ete, mere, et tant
que dure l'ete, vous ne songez qu'a vous inquieter de l'hiver qui
viendra. Moi, je vous dis qu'on pourrait vivre ici heureux et sans
souci.
--Et pourquoi donc ne fais-tu pas comme tu dis? reprit la mere. Es-tu
sans souci, toi? Te trouves-tu heureux d'etre meunier et d'avoir ta
maison dans l'eau si souvent? Ah! si je repetais tout ce que tu dis
quelquefois sur le malheur de ne pas etre bien loge, et de ne pouvoir
pas faire fortune!
--C'est tres-inutile de repeter toutes les betises que je dis
quelquefois, mere, vous pouvez bien vous en epargner la peine. En
parlant ainsi d'un ton de reproche, le grand meunier regardait sa mere
avec une douceur affectueuse et presque suppliante. Leur entretien ne
paraissait pas aussi banal a madame de Blanchemont qu'il peut jusqu'ici
le paraitre au lecteur. Dans la situation de son esprit, elle desirait
savoir comment cette vie rustique, la moins dure encore pour les gens
pauvres, etait sentie et appreciee par ceux-la meme qui etaient forces
de la mener. Elle ne venait pas l'examiner et l'essayer avec des idees
trop romanesques. Henri, en doutant de son aptitude a l'embrasser, lui
en avait bien
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