e sais bien que dans les grandes villes tout se paie, jusqu'a un verre
d'eau. C'est une vilaine coutume, et dans nos campagnes, on serait bien
malheureux si on ne s'obligeait pas les uns les autres. Allons, allons,
n'en parlons plus.
--Mais vous ne voulez donc pas que je revienne vous demander a dejeuner?
vous me forcez a m'abstenir de ce plaisir ou a devenir indiscrete.
--Cela c'est autre chose. Nous n'avons fait que notre devoir, en vous
donnant comme vous dites l'hospitalite; car enfin nous sommes eleves a
regarder cela comme un devoir; et, bien que la bonne coutume s'en aille
un peu, bien qu'aujourd'hui les pauvres gens, sans demander qu'on leur
paie ces petits services, acceptent presque tout ce qu'on leur donne en
partant, nous ne sommes pas d'avis, ma mere et moi, de changer les vieux
usages quand ils sont bons. S'il y avait eu aux environs une auberge
passable, je vous y aurais conduite hier soir, pensant que vous y seriez
mieux que chez nous, et voyant bien que vous aviez le moyen de payer
votre gite. Mais il n'y en a point, ni bonne, ni mauvaise, et, a moins
d'etre un homme sans coeur, je ne pouvais pas vous laisser passer la
nuit dehors. Croyez-vous que je vous aurais invitee a venir chez nous,
si j'avais eu l'intention de vous faire payer? Non, puisque, comme je
vous le dis, je ne suis pas aubergiste. Voyez, nous n'avons ni houx, ni
genet a notre porte.
--J'aurais du remarquer cela en entrant, dit Marcelle, et mettre plus de
discretion dans ma conduite ici. Mais que repondez-vous a ma question?
Vous ne voulez donc pas que je revienne?
--Cela c'est autre chose. Je vous invite a revenir tant que vous
voudrez. Vous trouvez l'endroit joli, votre petit aime nos galettes. Ca
m'encourage a vous dire que toutes les fois que vous reviendrez, vous
nous ferez plaisir.
--Et vous me forcerez comme aujourd'hui a accepter tout _gratis_?
--Puisque je vous y invite? Je me suis donc mal explique?
--Et vous ne voyez pas que, selon moi, ce serait abuser de votre bon
coeur?
--Non, je ne vois pas cela. Quand on est invite, on use de son droit en
acceptant.
--Allons, dit madame de Blanchemont, vous avez la vraie politesse, je le
comprends, et dans notre monde on ne l'a pas. Vous m'enseignez que la
discretion, celle qualite si vantee et malheureusement si necessaire
parmi nous, est devenue telle depuis que la bienveillance s'est changee
en compliments, et depuis que le savoir-vivre n'est plus l'expression de
la
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