pour se demander ce qu'il fallait dire et faire en
pareille circonstance; et elles n'avaient pas encore bouge de leur place
lorsque Marcelle entra. Le groupe qui se presenta a ses regards etait
compose de trois generations. La mere Bricolin, qui ne savait ni lire
ni ecrire, et qui etait vetue en paysanne; madame Bricolin, epouse du
fermier, un peu plus elegante que sa belle-mere, ayant a peu pres
la tenue d'une gouvernante de cure: celle-la savait signer son nom
lisiblement, et trouver les heures du lever du soleil et les phases de
la lune dans l'almanach de Liege; enfin, mademoiselle Rose Bricolin,
belle et fraiche en effet comme une rose du mois de mai, qui savait
tres-bien lire des romans, ecrire la depense de la maison et danser la
contredanse. Elle etait coiffee en cheveux, et portait une jolie robe
de mousseline couleur de rose, qui dessinait a merveille une taille
charmante, un peu trop modelee par l'exageration du corsage et des
manches collantes, a la mode du moment. Cette ravissante figure, dont
l'expression etait fine et naive a la fois, effaca chez Marcelle le
facheux effet de la mine aigre et dure de sa mere. La grand'mere, halee
et ridee comme une campagnarde eprouvee, avait une physionomie ouverte
et hardie. Ces trois femmes restaient la bouche beante; la mere Bricolin
se demandant de bonne foi si cette belle jeune dame etait la meme
qu'elle avait vue venir quelquefois au chateau trente ans auparavant,
c'est-a-dire la mere de Marcelle, qu'elle savait pourtant bien etre
morte depuis longtemps: madame Bricolin, la fermiere, s'apercevant
qu'elle avait remis trop vite, en rentrant de la messe, un tablier de
cuisine sur sa robe de merinos marron; et mademoiselle Rose pensant
rapidement qu'elle etait irreprochablement vetue et chaussee, et qu'elle
pouvait, grace au dimanche, etre surprise par une elegante Parisienne,
sans avoir a rougir de quelque occupation domestique trop vulgaire.
Madame de Blanchemont avait toujours ete, aux yeux de la famille
Bricolin, un etre problematique qui existait peut-etre, qu'on n'avait
jamais vu et qu'on ne verrait certainement jamais. On avait connu
monsieur son mari, qu'un n'aimait point parce qu'il etait hautain, qu'on
n'estimait pas parce qu'il etait depensier, et qu'on ne craignait guere
parce qu'il avait toujours besoin d'argent et qu'il s'en faisait avancer
a tout prix. Depuis sa mort, on pensait n'avoir jamais a traiter qu'avec
des hommes d'affaires, vu que le defunt avai
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