de vous rapporter.
"Vous devez comprendre, chere Rose, combien je fus frappee de la
conduite de ce jeune homme, qui s'etait montre a moi si simple, si
modeste et si parfaitement ignorant de sa grandeur morale. Je ne pus
penser a autre chose; dans le monde, comme dans ma chambre solitaire,
au theatre comme a l'eglise, son souvenir et son image etaient toujours
dans mon coeur et dans ma pensee. Je le comparais a tous les hommes que
je voyais, et alors il me paraissait si grand!
"Des la fin de mars je retournai a Montmorency, n'esperant point y
retrouver mon interessant voisin. J'eus un instant de veritable douleur,
lorsque, descendant au jardin avec une parente qui m'avait accompagnee
pour m'aider malgre moi a me reinstaller a la campagne, j'appris que le
rez-de-chaussee etait loue a une vieille dame. Mais ma compagne ayant
fait quelques pas loin de moi, la bonne madame Joly me dit a l'oreille
qu'elle avait fait ce petit mensonge parce que ma parente lui paraissait
curieuse et babillarde, mais que Lemor etait la, et qu'il se tenait
cache pour ne me voir que lorsque je serais seule.
"Je pensai m'evanouir de joie, et je supportai l'obligeance et les
attentions de ma pauvre cousine avec une patience dont je faillis
mourir. Enfin elle partit, et je revis Lemor, non pas seulement ce
jour-la, mais tous les jours et presque a toutes les heures de la
journee, depuis la fin de l'hiver jusqu'a l'extreme fin de l'automne
suivant. Les visites, toujours rares et assez courtes que l'on me
rendait, mes courses indispensables a Paris, nous volerent tout au plus,
en rassemblant toutes les heures, deux semaines de notre delicieuse
intimite.
"Je vous laisse a penser si cette vie fut heureuse et si l'amour
s'empara en maitre absolu de notre amitie. Mais ce dernier sentiment fut
aussi chaste sous les yeux de Dieu et de mon fils que l'avait ete une
amitie formee au lit de mort du frere d'Henri. On en jasa pourtant
peut-etre un peu chez les indigenes de Montmorency; mais la bonne
reputation de notre hotesse, sa discretion sur nos sentiments qu'elle
devinait bien, son ardeur a defendre notre conduite, la vie cachee
que nous menions, et le soin que nous eumes de ne jamais nous montrer
ensemble hors de la maison; enfin, l'absence de tout scandale,
empecherent la malveillance de s'en meler: aucun propos ne parvint
jamais aux oreilles de mon mari ni d'aucun de mes parents.
"Jamais amours ne furent plus religieusement sentis et plus saluta
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