prenez pas... je suis un peu en peine de
m'expliquer mieux.
--Allons, Louis, je crois que tu es fou, dit la vieille Marie qui
tricotait d'un air grave en ecoutant toute cette conversation. Je ne
sais pas ou tu prends tout ce que tu dis a notre dame. Excusez, Madame,
ce garcon est un sans-souci qui a toujours dit a tout le monde, petits
et grands, tout ce qui lui passait par la tete. Il ne faut pas que cela
vous fache. Au fond, il a bon coeur, croyez-moi, et je vois bien a sa
mine qu'il se jetterait dans le feu pour vous a cette heure.
[Illustration: Mais le seul aspect de Blanchemont...]
--Dans le feu, pas sur, dit le meunier en riant; mais dans l'eau, c'est
mon element. Vous voyez bien, mere, que madame est une femme d'esprit,
et qu'on peut lui dire tout ce qu'on pense. Je le dis bien a M.
Bricolin, son fermier, qui est certainement plus a craindre qu'elle,
ici!
--Dites donc, maitre Louis, parlez! je suis tres-disposee a m'instruire.
Pourquoi, parce que je suis une honnete personne, ne viendriez-vous pas
chez moi?
--Parce que nous aurions tort de nous familiariser avec vous, et que
vous auriez tort de nous traiter en egaux. Ca vous attirerait, des
desagrements. Vos pareils vous blameraient; ils diraient que vous
oubliez votre rang, et je sais que cela passe pour tres-mal a leurs
yeux. Et puis, la bonte que vous auriez avec nous, il faudrait donc
l'avoir avec tous les autres, ou cela ferait des jaloux et nous
attirerait des ennemis. Il faut que chacun suive sa route. On dit que le
monde est grandement change depuis cinquante ans; moi je dis qu'il n'y
a rien de change que nos idees a nous autres. Nous ne voulons plus nous
soumettre, et ma mere que voila, et que j'aime pourtant bien, la brave
femme, voit autrement que moi sur bien des choses. Mais les idees des
riches et des nobles sont ce qu'elles ont toujours ete. Si vous ne les
avez pas, ces idees-la, si vous ne meprisez pas un peu les pauvres gens,
si vous leur faites autant d'honneur qu'a vos pareils, ce sera
peut-etre tant pis pour vous. J'ai vu souvent votre mari, defunt M.
de Blanchemont, que quelques-uns appelaient encore le seigneur de
Blanchemont. Il venait tous les ans au pays et restait deux ou trois
jours. Il nous tutoyait. Si c'avait ete par amitie, passe; mais c'etait
par mepris; il fallait lui parler debout et toujours chapeau bas. Moi,
cela ne m'allait guere. Un jour, il me rencontra dans le chemin et me
commanda de tenir son cheval. Je fis la
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