t vu. Cependant, il parlait de la ferme et du vieux chateau
comme un homme qui a tout examine. En mangeant son pain et buvant son
eau, il avait fait beaucoup de questions au meunier sur l'etendue
des terres, sur leur rapport, sur les hypotheques dont elles etaient
grevees, sur la reputation et le caractere du fermier, sur les depenses
de feu M. de Blanchemont, sur ses autres terres, etc.; enfin, on avait
fini par le prendre, au moulin, pour un homme d'affaires envoye par
quelque acheteur, pour avoir des informations et reconnaitre la qualite
du terrain.
--Car il parait que la terre de Blanchemont va etre mise en vente, si
elle ne l'est pas deja, ajouta le meunier, qui n'etait pas tout a fait
aussi degage de la fievre de curiosite particuliere aux paysans de
l'endroit, que le pretendait sa mere.
Marcelle, qu'une bien autre sollicitude agitait, entendit a peine la
reflexion qui terminait ce recit.
--Quel age pouvait avoir cet etranger? Demanda-t-elle.
--Si sa figure ne ment pas, dit la meuniere, il peut avoir l'age de
Louis, de vingt-quatre a vingt-cinq ans environ.
--Et... comment est-il de figure? Est-il brun, de moyenne taille?
--Il n'est pas grand et il n'est pas blond, dit le meunier. Il n'a pas
une vilaine figure, mais il est pale comme un homme qui ne jouit pas
d'une grosse sante.
--Ce pourrait etre Henri, pensa Marcelle, bien que ce portrait un peu
rudement esquisse, ne repondit pas assez a l'ideal qu'elle portait dans
son coeur.
--C'est un homme qui ne sera peut-etre pas tres _coulant_ en affaires,
reprit le Grand-Louis: car pour obliger M. Bricolin, le fermier de
Blanchemont, qui veut se porter acquereur, et pour degouter un peu
celui-la, je m'amusait a deprecier la propriete; mais ce garcon ne se
laissait pas endormir. La terre vaut ceci et cela, disait-il, et il
comptait le revenu, les charges, les frais sur le bout de ses doigts,
comme un quelqu'un qui s'y connait, et qui n'a pas besoin de longues
paroles, le verre en main, a la mode du pays, pour voir le fort et le
faible d'une affaire.
--Allons, je suis folle, pensa madame de Blanchemont; cet etranger est
le premier venu, quelque regisseur charge de placer des fonds dans
le pays, et son air triste, sa reverie au bord de l'eau, c'est tout
simplement le resultat de la chaleur et de la fatigue. Quant a ce nom
d'Henri, c'est un hasard qu'il le porte, si tant est que ce soit lui qui
l'ait ecrit la. Jamais Henri ne s'est occupe d'affaires; jam
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