dans la Vallee-Noire, mais
qui ne sauraient sortir de l'esprit d'une femme de chambre en voyage.
Cependant le sang-froid enjoue de sa maitresse l'empecha de se livrer
tout haut a ses terreurs, et, s'etant _calee_ de son mieux sur la
banquette de devant, elle prit le parti de pleurer en silence.
--Eh bien! qu'avez-vous donc, Suzette? lui dit Marcelle lorsqu'elle s'en
apercut.
--Helas! Madame, repondit-elle en sanglotant, n'entendez-vous pas
chanter les grenouilles? Elles vont venir sur nous et remplir la
voiture...
--Et nous devorer, sans doute? reprit madame de Blanchemont en eclatant
de rire.
En effet, les vertes habitantes du marecage, un instant troublees par
la chute du cheval et les clameurs du phaeton, avaient repris leur
psalmodie monotone. On entendait aussi aboyer et hurler les chiens,
mais si loin, qu'il n'y avait guere lieu de compter sur une prompte
assistance. La lune ne se levait pas encore, mais les etoiles brillaient
dans l'eau stagnante du marecage qui avait repris sa limpidite. Une
brise tiede soufflait dans les grands roseaux qui s'elevaient en touffes
epaisses sur la rive.
--Allons, Suzette, dit Marcelle qui se livrait deja a une reverie
poetique, on n'est pas si mal que je l'aurais cru dans un bourbier, et
si vous le voulez bien, vous y dormirez comme dans votre lit.
--Il faut que Madame ait perdu l'esprit, pensa Suzette, pour se trouver
bien dans une pareille situation.
O ciel! Madame! s'ecria-t-elle apres un moment de silence, il me semble
que j'entends hurler un loup! Est-ce que nous ne sommes pas au milieu
d'une foret?
--La foret n'est, je crois, qu'une saulee, repondit Marcelle, et, quant
au loup qui hurle, c'est un homme qui chante. S'il se dirigeait de notre
cote, il pourrait nous aider a gagner la terre ferme.
--Et si c'etait un voleur?
--En ce cas, c'est un voleur bienveillant qui chante pour nous avertir
de prendre garde a nous. Ecoutez, Suzette, sans plaisanterie, il vient
par ici, la voix se rapproche.
En effet, une voix pleine, et d'une male harmonie, quoique rude et sans
art, planait sur les champs silencieux, accompagnee comme en mesure
par le pas lent et regulier d'un cheval; mais cette voix etait encore
eloignee et rien n'assurait que le chanteur marchat dans la direction du
marecage, qui pouvait bien n'etre qu'une impasse. Quand la chanson fut
finie, soit que le cheval marchat sur l'herbe, soit que le villageois se
fut detourne, on n'entendit plus rien.
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