inegale des terrains
rend aussi dangereuses que pittoresques, et qui, en s'interrompant tout
a coup, vous exposent a un saut de dix ou douze pieds a pic. Le
gamin n'avait jamais penetre aussi avant dans la Vallee-Noire; il
s'impatientait, jurait comme un possede chaque fois qu'il etait force
de retourner sur ses pas pour reprendre la voie; il se plaignait de la
soif, de la faim, se lamentait sur la fatigue de son cheval, tout en le
rouant de coups, et se donnait des airs de citadin pour vouer a tous les
diables ce pays sauvage et ses stupides habitants.
[Illustration: Nos voyageurs embarrasses s'adresserent a un mendiant.]
Plus d'une fois, voyant le chemin rapide, mais sec, Marcelle et ses gens
avaient mis pied a terre; mais on ne pouvait marcher cinq minutes
sans arriver a un de ces fonds ou le chemin se resserre et se trouve
entierement occupe par une source a fleur de terre, sans ecoulement, et
formant une mare liquide impossible a franchir a pied pour une femme
delicate. La Parisienne Suzette aimait mieux verser, disait-elle, que de
laisser sa chaussure dans ces bourbiers, et Lapierre, qui avait passe sa
vie en escarpins sur des parquets bien luisants, etait tellement gauche
et demoralise, que madame de Blanchemont n'osait plus lui laisser porter
son fils.
Le reponse ordinaire du paysan, quand on lui demande n'importe quel
chemin, c'est de vous dire: _Marchez tout droit, toujours tout droit._
C'est tout simplement une facetie, une espece de calembour qui signifie
qu'on doit marcher sur ses jambes, car il n'y a pas un seul chemin
tout droit dans la Vallee-Noire. Les nombreux ravins de l'Indre, de
la Vauvre, de la Couarde[2], du Gourdon et de cent autres moindres
ruisseaux qui changent de nom dans leur cours, et qui n'ont jamais ete
avilis sous le joug d'aucun pont ni chaussee, vous forcent a mille
detours pour chercher un endroit gueable, de sorte que vous etes souvent
oblige de tourner le dos au lieu vers lequel vous vous dirigez.
[Note 2: La _Couarde_ est ainsi nommee, parce que son cours est
partout cache sous les buissons, ou elle semble avoir peur d'etre
decouverte. C'est un ruisseau noir, etroit et profond, qui coule en
silence, et qui est, disent les paysans, plus traitre qu'il n'est gros.
La _Tarde_ est une autre riviere molle et paresseuse qui arrose aussi de
delicieuses prairies.]
Arrives a un carrefour surmonte d'une croix, endroit sinistre que
l'imagination des paysans peuple toujours de demons,
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