ffrayee. Il y avait dans ces larmes brulantes
comme un refus invincible d'etre heureux, comme un adieu eternel a
toutes les illusions de l'amour et de la jeunesse.
--O mon cher Henri! s'ecria Marcelle, quel mal avez-vous donc resolu de
nous faire a tous deux? Pourquoi ce desespoir, quand vous etes le maitre
de ma vie, quand rien ne nous empeche plus d'etre l'un a l'autre devant
Dieu et devant les hommes? Est-ce donc mon fils qui est un obstacle
entre nous? ne vous sentez-vous pas l'ame assez grande pour repartir
sur lui une part de l'affection que vous avez pour moi! Craignez-vous
d'avoir a vous reprocher un jour le malheur et l'abandon de cet enfant
de mes entrailles!
--Votre fils! dit Henri en sanglotant, j'aurais une crainte plus
serieuse que celle de ne l'aimer pas. Je craindrais de l'aimer trop, et
de ne pouvoir me resigner a voir sa vie s'engager en sens inverse de la
mienne dans le courant du siecle. L'usage et l'opinion me commanderaient
de le laisser au monde, et je voudrais l'en arracher, dusse-je le
rendre malheureux, pauvre et desole avec moi.... Non, je ne pourrais
le regarder avec assez d'indifference et d'egoisme pour consentir a en
faire un homme semblable a ceux de sa classe; non! non!... cela, et
autre chose, et tout, dans votre position et dans la mienne, est un
obstacle insurmontable. De quelque cote que j'envisage un tel avenir,
je n'y vois que lutte insensee, malheur pour vous, anatheme sur moi!...
C'est impossible, Marcelle, a jamais impossible! je vous aime trop pour
accepter des sacrifices dont vous ne pouvez ni prevoir les resultats ni
mesurer l'etendue. Vous ne me connaissez pas, je le vois bien. Vous me
prenez pour un reveur indecis et faible. Je suis un reveur obstine et
incorrigible. Vous m'avez peut-etre accuse quelquefois d'affectation;
vous avez cru qu'un mot de vous me ramenerait a ce que vous croyez la
raison et la verite. Oh! je suis plus malheureux que vous ne pensez,
et je vous aime plus que vous ne pouvez le comprendre maintenant. Plus
tard... oui, plus tard, vous me remercierez au fond de vos pensees
d'avoir su etre malheureux tout seul.
--Plus tard? et pourquoi? et quand donc? que voulez-vous dire?
--Plus tard, vous dis-je, quand vous vous eveillerez de ce reve sombre
et maudit ou je vous ai entrainee, quand vous retournerez au monde et
que vous en partagerez les enivrements faciles et doux; quand vous ne
serez plus un ange, enfin, et que vous redescendrez sur la terre.
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