Madame Sarah Bernhardt executa un tour de force en n'y
etant pas ridicule. Meme elle montra, dans l'_Etrangere_, ce qu'elle
pourrait donner, le jour ou elle aurait un role central dans une piece
moderne, prise en pleine realite sociale.
Souvent, cette grave question de l'interpretation m'a preoccupe. Chaque
fois qu'un auteur dramatique, ayant quelque souci de la verite, a
aujourd'hui un role important de femme a distribuer, je sais qu'il se
trouve dans l'embarras. On finit toujours, il est vrai, par faire un
choix, mais la piece en patit souvent. Le public ne saurait entrer dans
cette cuisine des coulisses; la piece est mediocrement jouee, et comme
justement les pieces d'analyse et de caractere ne supportent pas une
interpretation mediocre, on la siffle. C'est une oeuvre enterree. Il
est vrai que nous sommes singulierement difficiles, nous voudrions des
artistes jeunes, jolies, tres intelligentes, profondement originales.
En un mot, nous tous qui travaillons pour l'avenir, nous demandons des
comediennes de genie.
V
Le cas de madame Sarah Bernhardt me parait des plus interessants et des
plus caracteristiques. Je n'ai pas a prendre la defense de la grande
artiste, que son talent defendra suffisamment. Mais je ne puis resister
au besoin d'etudier, a son sujet, ce fameux besoin de reclame qui affole
notre epoque, selon les chroniqueurs.
D'abord, posons nettement les situations. Madame Sarah Bernhardt est
accusee d'etre devoree d'une fievre de publicite. A entendre les
chroniqueurs et les reporters de notre presse parisienne, elle ne dit
pas une parole, ne risque pas un acte, sans en calculer a l'avance le
retentissement. Non contente d'etre une comedienne adoree du public,
elle a cherche a se singulariser en touchant a la sculpture, a la
peinture, a la litterature. Enfin, on en est venu a dire que, tout a
fait affolee par sa rage de reclame, compromettant la dignite de la
Comedie-Francaise, elle avait fini par se montrer a Londres, vetue en
homme, pour un franc.
Quant aux chroniqueurs et aux reporters qui dressent aujourd'hui ce
requisitoire, ils prennent des attitudes de moralistes affliges. Ils
pleurent sur ce beau talent qui se compromet. Ils menacent la comedienne
de la lassitude du public et lui font entendre que, si elle fait encore
parler d'elle d'une facon desordonnee, on la sifflera. En un mot, eux
qui sont les seuls coupables de tout ce bruit, ils declarent que si le
bruit continue, c'en est fait d
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