tre son corps hors d'atteinte, mais nous vimes bientot que ce n'etait
pas l'intention du vieux compagnon. En faisant ainsi, il aurait manque
l'effet, et nul doute qu'il ne se fut beaucoup preoccupe de la mise en
scene. Choisissant une place ou le terrain etait un peu en pente, il y
conduisit le mustang, et le placa de maniere a ce que ses pieds de devant
fussent en contre-bas. La queue se trouvait ainsi dominer le reste du
corps. Apres avoir pose l'animal bien carrement, l'arriere tourne vers le
camp, il lui dit quelques mots tout bas, puis il placa le fruit sur la
courbe la plus elevee de la croupe, et revint sur ses pas. La jument
resterait-elle la sans bouger? Il n'y avait rien a craindre de ce cote.
Elle avait ete dressee a garder l'immobilite la plus complete pendant des
periodes plus longues que celle qui lui etait imposee en ce moment. La
bete, dont on ne voyait que les jambes de derriere et le croupion, car les
mules lui avaient arrache tous les crins de la queue, presentait un aspect
tellement risible, que la plupart des spectateurs en etait a se pamer.
--Taisez vos betes de rires, entendez-vous! dit Rube, saisissant son fusil
et prenant position.
Les rires cesserent, nul ne voulant deranger le coup.
--Maintenant, vieux _tar-guts_, ne perds pas ta charge! Murmura le vieux
trappeur en parlant a son fusil qui, un instant apres, etait leve, puis
abaisse.
Personne ne doutait que Rube ne dut atteindre l'objet qu'il visait.
C'etait un coup familier aux tireurs de l'Ouest, que de toucher un but a
soixante yards. Et certainement Rube l'aurait fait.
Mais juste au moment ou il pressait la detente, le dos de la jument fut
souleve par une de ces convulsions spasmodiques auxquelles elle etait
sujette, et le _pitahaya_ tomba a terre. La balle etait partie, et, rasant
l'epaule de la bete, elle alla traverser une de ses oreilles. La direction
du coup ne put etre reconnue qu'ensuite; mais l'effet produit fut
immediatement visible. La jument, touchee en un endroit des plus
sensibles, poussa un cri presque humain; et, se retournant de bout en
bout, se mit a galoper vers le camp, lancant des ruades a tout ce qui se
rencontrait sur son chemin. Les cris et les rires eclatants des trappeurs,
les sauvages exclamations des Indiens, les "_vayas_" et "_vivas_" des
Mexicains, les jurements terribles du vieux Rube formerent un etrange
concert dont ma plume est impuissante a reproduire l'effet.
XXII
LE PLAN DE CAMPAGNE.
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