ricassee de quoi?
--De grenouilles: ce que les Yankees appellent _Bou-Frog_
(grenouilles-boeuf)...
--Une fricassee de _Bull-frogs?_
--Oui, oui, mon maitre. En voulez-vous?
--Non, je vous remercie.
--J'en accepterai, monsieur Gode, dit Seguin.
--_Ich, ich!_ mons Gode; les crenouilles sont tres-pons mancher. Et le
docteur tendit son assiette pour etre servi.
Gode, en suivant le bord de la riviere, etait tombe sur une mare pleine de
grenouilles enormes, et cette fricassee etait le produit de sa recolte. Je
n'avais point encore perdu mon antipathie nationale pour les victimes de
l'anatheme de saint Patrick, et, au grand etonnement du voyageur, je
refusai de prendre part au regal.
Pendant la causerie du souper, je recueillis sur l'histoire du docteur
quelques details qui, joints a ce que j'en avais appris deja,
m'inspirerent pour ce brave naturaliste un grand interet. Jusqu'a ce
moment, je n'aurais pas cru qu'un homme de ce caractere put se trouver
dans la compagnie de gens comme les chasseurs de scalps. Quelques details
qui me furent donnes alors m'expliquerent cette anomalie. Il s'appelait
Reichter, Friedrich Reichter. Il etait de Strasbourg, et avait exerce la
medecine avec succes dans cette cite des cloches. L'amour de la science,
et particulierement de la botanique, l'avait entraine bien loin de sa
demeure des bords du Rhin. Il etait parti pour les Etats-Unis; de la il
s'etait dirige vers les regions les plus reculees de l'Ouest, pour faire
la classification de la flore de ces pays perdus. Il avait passe plusieurs
annees dans la grande vallee du Mississipi; et, se joignant a une des
caravanes de Saint-Louis, il etait venu a travers les prairies jusqu'a
l'oasis du New-Mexico. Dans ses courses scientifiques le long du
Del-Norte, il avait rencontre les chasseurs de scalps, et, seduit par
l'occasion qui s'offrait a lui de penetrer dans les regions inexplorees
jusqu'alors par les amants de la science, il avait offert de suivre la
bande. Cette offre avait ete acceptee avec empressement, a cause des
services qu'il pouvait rendre comme medecin; et depuis deux ans, il etait
avec eux; partageant leurs fatigues et leurs dangers. Il avait traverse
bien des aventures perilleuses, souffert bien des privations, pousse par
l'amour de son etude favorite, et peut-etre aussi par les reves du
triomphe que lui vaudrait un jour, parmi les savants de l'Europe, la
publication d'une flore inconnue. Pauvre Reichter! pauvre Fried
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