sil, je mis en joue, et j'appuyai le doigt sur la detente,
lorsque quelque chose de rouge frappa mes yeux, c'etait du sang!
J'abaissai mon fusil avec un sentiment de terreur et retins les renes.
Mais, avant que j'eusse pu ralentir ma course, je fus porte au milieu du
troupeau abattu. La, mon cheval s'arreta court, et je restai cloue sur ma
selle comme sous l'empire d'un charme. Je me sentais saisi d'une
superstitieuse terreur. Devant moi, autour de moi, du sang! De quelque
cote que mes yeux se portassent, du sang, toujours du sang!
Mes camarades se rapprochaient, criant tout en courant; mais leurs cris
cesserent, et, l'un apres l'autre, ils tirerent la bride, comme j'avais
fait, et demeurerent confondus et consternes. Un pareil spectacle etait
fait pour etonner, en effet. Devant nous gisaient les cadavres des
buffalos, tous morts ou dans les dernieres convulsions de l'agonie. Chacun
d'eux portait sous la gorge une blessure d'ou le sang coulait a gros
bouillons, et se repandait sur leurs flancs encore pantelants. Il y en
avait des flaques sur le sol de la prairie, et les eclaboussures des coups
de pieds convulsifs tachaient le gazon tout autour.
--Mon Dieu! qu'est-ce que cela veut dire?
--Whagh!--_Santissima!_--Sacrr... s'ecrierent les chasseurs.
--Ce n'est bien sur pas la main d'un homme qui a fait cela!
--Eh! ce n'est pas autre chose, cria une voix bien connue, si toutefois
vous appelez un Indien un homme. C'est un tour de Peau-Rouge, et
l'Enfant... Tenez! tenez!
En meme temps que cette exclamation, j'entendis le craquement d'un fusil
que l'on arme. Je me retournai; Rube mettait en joue. Je suivis
machinalement la direction du canon, j'apercus quelque chose qui se
remuait dans l'herbe.
--C'est un buffalo qui se debat encore! pensai-je, voyant une masse velue
d'un gris brun, il veut l'achever... tiens, c'est le veau!
J'avais a peine fait cette remarque, que je vis l'animal se dresser sur
ses deux jambes de derriere en poussant un cri sauvage, mais humain.
L'enveloppe herissee tomba, et un sauvage tout nu se montra, tendant ses
bras, dans une attitude suppliante. Je n'aurais pu le sauver. Le chien
s'etait abattu et la balle etait partie; elle avait perce la brune
poitrine; le sang jaillit et la victime tomba en avant sur le corps d'un
des buffles.
--Whagh! Rube! s'ecria un des hommes; pourquoi ne lui as-tu pas laisse le
temps d'ecorcher ce gibier? Il s'en serait si bien acquitte pendant qu'il
etait en
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