vions encore entendu aucun cri de guerre; mais nous savions que
ceux qui nous poursuivaient ne devaient pas etre loin, et, agenouilles
derriere les rochers, nous tendions nos regards a travers les tenebres de
la sombre ravine. Il est difficile de donner avec la plume une idee plus
exacte de notre position. Le lieu que nous avions choisi pour etablir
notre ligne de defense etait unique dans sa disposition, et il n'est pas
aise de le decrire. Cependant je ne puis me dispenser de faire connaitre
quelques-uns des caracteres particuliers du site, pour l'intelligence de
ce qui va suivre.
La riviere, apres avoir decrit de nombreux detours en suivant un canal
sinueux et peu profond, entrait dans le _canon_ par une vaste ouverture
semblable a une porte bordee de deux piliers gigantesques. L'un de ces
piliers etait forme par l'extremite escarpee de la chaine granitique;
l'autre etait une masse detachee de roches stratifiees. Apres cette
ouverture, le canal s'elargissait jusqu'a environ cent yards; son lit
etait seme de roches enormes et de monceaux d'arbres a demi submerges. Un
peu plus loin, les montagnes se rapprochaient si pres, que deux cavaliers
de front, pouvaient a peine passer; plus loin, le canal s'elargissait de
nouveau, et le lit de la riviere etait encore rempli de rochers, enormes
fragments qui s'etaient detaches des montagnes et avaient roule la. La
place que nous avions choisie etait au milieu des rochers et des troncs
d'arbres, en dedans du _canon_, et au-dessous de la grande ouverture qui
en fermait l'entree en venant du dehors. La necessite nous avait fait
prendre cette position; c'etait la seule ou la rive presentat une pente et
un chemin en communication avec le pays ouvert, par ou nos ennemis
pouvaient nous prendre en flanc si nous les laissions arriver jusque-la.
Il fallait, a tout prix, empecher cela; nous nous placames donc de
maniere a defendre l'etroit passage qui formait le second etranglement du
canal. Nous savions que, au dela de ce point, les rochers a pic arrivaient
des deux cotes jusque dans l'eau, et qu'il etait impossible de les gravir.
Si nous pouvions leur interdire l'acces du bord incline, il ne leur serait
pas possible d'avancer plus loin. Ils n'auraient plus des lors d'autre
ressource que de nous prendre en flanc, en retournant par la vallee et en
faisant le tour par le defile de l'ouest, ce qui necessitait une course de
cinquante milles au moins. En tout cas, nous pouvions les tenir en echec
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