ait apporte parmi ses bagages un petit
bocal d'_aguardiente_, de l'alcool de Mezcal, dans le but de conserver
quelques echantillons rares de la famille des serpents ou des lezards,
s'il avait la chance d'en rencontrer. Je compris donc qu'il ne s'agissait
de rien moins que d'un complot ayant pour but de s'emparer de ce bocal et
de vider son contenu.
Mon premier mouvement fut de me lever pour mettre obstacle a leur dessein,
et, de plus, administrer un savon salutaire a mon voyageur ainsi qu'a son
compagnon a cheveux rouges; mais, apres un moment de reflexion, je pensai
qu'il valait mieux s'y prendre d'une autre facon et les laisser se punir
eux-memes.
Je me rappelais que, quelques jours avant notre arrivee a l'_Ojo de Vaca_,
le docteur avait pris un serpent du genre des viperes, deux ou trois
sortes de lezards, et une hideuse bete baptisee par les chasseurs du nom
de _grenouille a cornes_. Il les avait plonges dans l'alcool pour les
conserver. Je l'avais vu faire, et ni mon Francais ni l'Irlandais ne se
doutaient de cela. Je resolus donc de les laisser boire une bonne gorgee
de l'infusion avant d'intervenir. Je n'attendis pas longtemps. Au bout de
peu d'instants, ils remonterent, et Barney etait charge du precieux bocal.
Ils s'assirent tout pres de l'endroit ou j'etais couche, puis, debouchant
le flacon, ils remplirent leurs tasses d'etain et commencerent a gouter.
On n'aurait pas trouve ailleurs une paire de gaillards plus alteres; et
d'une seule gorgee, chacun d'eux eut vide sa tasse jusqu'au fond.
--Un drole de gout, ne trouvez-vous pas? dit Barney apres avoir detache la
tasse de ses levres.
--Oui, c'est vrai, monsieur.
--Que pensez-vous que ce soit?
--Je ne sais quoi. Ca sent le... dame le... dame!...
--Le poisson, vous voulez dire?
--Oui, ca sent comme le poisson: un drole de bouquet, fichtre!
--Je suppose que les Mexicains mettent quelque chose la dedans pour donner
du gout a l'_aguardiente_. C'est diablement fort tout de meme. Ca ne vaut
pas grand'chose et on n'en ferait pas grand cas, si on avait a sa portee
de la bonne liqueur d'Irlande. Oh! mere de Moise! c'est la une fameuse
boisson!
Et l'Irlandais secouait la tete, ajoutant ainsi a l'emphase de son
admiration pour le whisky de son pays.
--Mais, monsieur Gaoude, continua-t-il, le whisky est le whisky, sans
aucun doute; mais, si nous ne pouvons avoir de la brioche, ce n'est pas
une raison pour dedaigner le pain; ainsi donc, je vous en dem
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