Devores par la faim, nous nous couchons,
attendant la venue du troisieme jour. Le matin arrive, et nous grimpons
comme d'habitude a notre observatoire.
Les sauvages dorment tard comme la veille; mais ils se levent enfin, et,
apres avoir fait boire leurs chevaux, recommencent a faire cuire de la
viande. L'aspect des tranches saignantes, des cotes juteuses fumant sur la
braise, l'odeur savoureuse que nous apporte la brise surexcitent notre
faim jusqu'a la rendre intolerable. Nous ne pouvons pas resister plus
longtemps. Il faut qu'un cheval meure! Lequel? La loi de la montagne en
decidera. Onze cailloux blancs et un noir sont places dans un seau vide;
l'un apres l'autre nous sommes conduits aupres, les yeux bandes. Je
tremble, en mettant la main dans le vase autant que s'il s'agissait de ma
propre vie.
--Grace soit rendue au ciel! mon brave Moro est sauve!...
Un des Mexicains a pris la pierre noire.
--Nous avons de la chance! s'ecria un chasseur, un bon mustang bien gras
vaut mieux qu'un boeuf maigre.
En effet, le cheval designe par le sort est tres-bien en chair. Les
sentinelles sont replacees, et nous nous dirigeons vers le fourre pour
executer la sentence. On s'approche de la victime avec precaution; on
l'attache a un arbre, et on lui met des entraves aux quatre jambes pour
qu'elle ne puisse se debattre. On se propose de la saigner a blanc. Le
cibolero a degaine son long couteau; un homme se tient pret a recevoir
dans un seau le precieux liquide, le sang. Quelques-uns, munis de tasses,
se preparent a boire aussitot que le sang coulera. Un bruit inusite nous
arrete court. Nous regardons a travers les feuilles. Un gros animal gris,
ressemblant a un loup, est sur la lisiere du fourre et nous regarde.
Est-ce un loup? Non; c'est un chien indien. L'execution est suspendue,
chacun de nous s'arme de son couteau. Nous nous approchons doucement de
l'animal; mais il se doute de nos intentions, pousse un sourd grognement,
et court vers l'extremite du defile. Nous le suivons des yeux. L'homme en
faction est precisement le proprietaire du cheval voue a la mort. Le chien
ne peut regagner la plaine qu'en passant pres de lui, et le Mexicain se
tient, la lance en arret, pret a le recevoir. L'animal se voit coupe, il
se retourne et court en arriere; puis, prenant un elan desespere, il
essaie de franchir la vedette. Au meme moment il pousse un hurlement
terrible. Il est empale sur la lance. Nous nous elancons vers la crete
pour
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