dit, reprit-elle, toute l'amitie que j'eprouvais pour...
Michel; il a toujours ete pour moi un camarade, un ami, un frere, et il
sera desormais un mari. Je ne pouvais pas en esperer un plus honnete, un
plus digne, et je crois comme mon pere que notre vie sera heureuse. Je
voulais des ailes a l'existence que je revais; mais c'est peut etre sur
la terre, terre a terre, qu'est le bonheur possible en ce monde. Il
croit que je pourrai le rendre heureux, je m'y appliquerai de tout mon
coeur.
La porte en s'ouvrant le tira de l'angoisse qui le serrait a la gorge et
l'etouffait.
C'etait Denizot qui rentrait, charge d'un immense panier.
--Ah! colonel, dit-il en posant, son panier, ca ne se fait pas, ces
choses-la; les grands cuisiniers veulent etre prevenus au moins
vingt-quatre heures a l'avance, vous n'allez pas trouver un souper digne
de vous.
--Q'importe, mon bon Denizot?
--Comment, qu'importe! et ma gloire?
Puis, donnant une poignee de main au colonel:
--Comme homme, je suis joliment content de vous voir; mais comme
cuisinier, vous savez, je suis vexe. Avez-vous faim?
--Pas trop.
--Comme homme, j'en suis fache; mais, comme cuisinier, j'en suis bien
aise.
Et clopin-clopant, il s'occupa de tirer toutes les victuailles qui
etaient entassees dans son panier.
Pendant ce temps, Antoine rentra, puis Michel.
Contrairement a ce qu'il etait d'ordinaire, le jeune ouvrier montra une
physionomie ouverte et souriante; ses yeux semblaient moins enfonces et
moins sombres.
Il vint au colonel et s'informa poliment, presque affectueusement, de sa
sante.
Chose bizarre, ce fut celui-ci qui eut l'attitude roide et contrainte
que Michel avait autrefois avec lui. Il dut se faire violence pour
repondre convenablement quelques mots aux questions qui lui etaient
adressees.
Le souper etait servi sur la table.
Antoine invita son neveu a s'asseoir.
--Prenez la place de votre pere, mon neveu.
A ce moment, Sorieul fit son entree.
Sorti depuis le matin, il ignorait que le colonel dut souper avec eux;
en l'apercevant, il poussa des exclamations joyeuses.
Et apres avoir depose son chapeau sur le pupitre d'Antoine et vide les
poches de son habit pleines de livres, de papiers, de journaux, de
brochures, il accapara la conversation.
--Il y avait vraiment des coincidences dans la vie; ainsi, sans se
douter le moins du monde qu'il verrait le colonel le soir meme, il
s'etait occupe de lui pendant toute la journee.
|