XIV.
-- Comment cela?...
-- Ce caractere, je crois, si j'ose m'exprimer ainsi, ressemble a
celui que Monseigneur confessait tout a l'heure au theatin.
-- Osez; c'est...?
-- C'est l'orgueil. Pardon, monseigneur; la fierte, voulais-je
dire. Les rois n'ont pas d'orgueil: c'est une passion humaine.
-- L'orgueil, oui, vous avez raison. Apres?...
-- Eh bien! monseigneur, si j'ai rencontre juste, Votre Eminence
n'a qu'a donner tout son argent au roi, et tout de suite.
-- Mais pourquoi? dit Mazarin fort intrigue.
-- Parce que le roi n'acceptera pas le tout.
-- Oh! un jeune homme qui n'a pas d'argent et qui est ronge
d'ambition.
-- Soit.
-- Un jeune homme qui desire ma mort.
-- Monseigneur...
-- Pour heriter, oui, Colbert; oui, il desire ma mort pour
heriter. Triple sot que je suis! je le previendrais!
-- Precisement. Si la donation est faite dans une certaine forme,
il refusera.
-- Allons donc!
-- C'est positif. Un jeune homme qui n'a rien fait, qui brule de
devenir illustre, qui brule de regner seul, ne prendra rien de
bati; il voudra construire lui-meme. Ce prince-la, monseigneur, ne
se contentera pas du Palais-Royal que M. de Richelieu lui a legue,
ni du palais Mazarin que vous avez si superbement fait construire,
ni du Louvre que ses ancetres ont habite, ni de Saint-Germain ou
il est ne. Tout ce qui ne procedera pas de lui, il le dedaignera,
je le predis.
-- Et vous garantissez que si je donne mes quarante millions au
roi...
-- En lui disant de certaines choses, je garantis qu'il refusera.
-- Ces choses... sont?
-- Je les ecrirai, si Monseigneur veut me les dicter.
-- Mais enfin, quel avantage pour moi?
-- Un enorme. Personne ne peut plus accuser Votre Eminence de
cette injuste avarice que les pamphletaires ont reprochee au plus
brillant esprit de ce siecle.
-- Tu as raison, Colbert, tu as raison; va trouver le roi de ma
part et porte lui mon testament.
-- Une donation, monseigneur.
-- Mais s'il acceptait! s'il allait accepter?
-- Alors, il resterait treize millions a votre famille, et c'est
une jolie somme.
-- Mais tu serais un traitre ou un sot, alors.
-- Et je ne suis ni l'un ni l'autre, monseigneur... Vous me
paraissez craindre beaucoup que le roi n'accepte... Oh! craignez
plutot qu'il n'accepte pas...
-- S'il n'accepte pas, vois-tu, je lui veux garantir mes treize
millions de reserve... Oui, je le ferai... Oui... Mais voici la
douleur qui vient; j
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