s me croire, dit Raoul, je rougis et
je le sens bien; c'est malgre moi. La question que vous me faites
l'honneur de m'adresser est de nature a soulever en moi beaucoup
d'emotions; je rougis donc, parce que je suis emu, non parce que
je mens.
-- Je sais, Raoul, que vous ne mentez jamais.
-- Non, monsieur.
-- D'ailleurs, mon ami, vous auriez tort, ce que je voulais vous
dire...
-- Je le sais bien, monsieur; vous voulez me demander si je n'ai
pas ete a Blois.
-- Precisement.
-- Je n'y suis pas alle; je n'ai meme pas apercu la personne dont
vous voulez me parler.
La voix de Raoul tremblait en prononcant ces paroles. Athos,
souverain juge en toute delicatesse, ajouta aussitot:
-- Raoul, vous repondez avec un sentiment penible; vous souffrez.
-- Beaucoup, monsieur; vous m'avez defendu d'aller a Blois et de
revoir Mlle de La Valliere.
Ici le jeune homme s'arreta. Ce doux nom, si charmant a prononcer,
dechirait son coeur en caressant ses levres.
-- Et j'ai bien fait, Raoul, se hata de dire Athos. Je ne suis pas
un pere barbare ni injuste; je respecte l'amour vrai; mais je
pense pour vous a un avenir... a un immense avenir. Un regne
nouveau va luire comme une aurore; la guerre appelle le jeune roi
plein d'esprit chevaleresque. Ce qu'il faut a cette ardeur
heroique, c'est un bataillon de lieutenants jeunes et libres, qui
courent aux coups avec enthousiasme et tombent en criant: "Vive le
roi!" au lieu de crier: "Adieu, ma femme!..." Vous comprenez cela,
Raoul. Tout brutal que paraisse etre mon raisonnement, je vous
adjure donc de me croire et de detourner vos regards de ces
premiers jours de jeunesse ou vous prites l'habitude d'aimer,
jours de molle insouciance qui attendrissent le coeur et le
rendent incapable de contenir ces fortes liqueurs ameres qu'on
appelle la gloire et l'adversite. Ainsi, Raoul, je vous le repete,
voyez dans mon conseil le seul desir de vous etre utile, la seule
ambition de vous voir prosperer. Je vous crois capable de devenir
un homme remarquable; marchez seul, vous marcherez mieux et plus
vite.
-- Vous avez commande, monsieur, repliqua Raoul, j'obeis.
-- Commande! s'ecria Athos. Est-ce ainsi que vous me repondez! Je
vous ai commande! Oh! vous detournez mes paroles, comme vous
meconnaissez mes intentions! je n'ai pas commande, j'ai prie.
-- Non pas, monsieur, vous avez commande, dit Raoul avec
opiniatrete... mais n'eussiez-vous fait qu'une priere, votre
priere est encore
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