es n'y penetrent qu'avec difficulte; il est vrai
qu'une fois entrees, elles y restent.
-- Oui, vous me semblez avoir de la memoire.
-- Presque autant que Votre Majeste.
-- Alors, donnez-moi vite une solution... Mon temps est cher. Que
faites vous depuis votre conge?
-- Ma fortune, Sire.
-- Le mot est dur, monsieur d'Artagnan.
-- Votre Majeste le prend en mauvaise part, certainement. Je n'ai
pour le roi qu'un profond respect, et, fusse-je impoli, ce qui
peut s'excuser par ma longue habitude des camps et des casernes,
Sa Majeste est trop au-dessus de moi pour s'offenser d'un mot
echappe innocemment a un soldat.
-- En effet, je sais que vous avez fait une action d'eclat en
Angleterre, monsieur. Je regrette seulement que vous ayez manque a
votre promesse.
-- Moi? s'ecria d'Artagnan.
-- Sans doute... Vous m'aviez engage votre foi de ne servir aucun
prince en quittant mon service... Or, c'est pour le roi Charles II
que vous avez travaille a l'enlevement merveilleux de M. Monck.
-- Pardonnez-moi, Sire, c'est pour moi.
-- Cela vous a reussi?
-- Comme aux capitaines du XVeme siecle les coups demain et les
aventures.
-- Qu'appelez-vous reussite? une fortune?
-- Cent mille ecus, Sire, que je possede: c'est, en une semaine,
le triple de tout ce que j'avais eu d'argent en cinquante annees.
-- La somme est belle... mais vous etes ambitieux, je crois?
-- Moi, Sire? Le quart me semblait un tresor, et je vous jure que
je ne pense pas a l'augmenter.
-- Ah! vous comptez demeurer oisif?
-- Oui, Sire.
-- Quitter l'epee?
-- C'est fait deja.
-- Impossible, monsieur d'Artagnan, dit Louis avec resolution.
-- Mais, Sire...
-- Eh bien?
-- Pourquoi?
-- Parce que je ne le veux pas! dit le jeune prince d'une voix
tellement grave et imperieuse, que d'Artagnan fit un mouvement de
surprise, d'inquietude meme.
-- Votre Majeste me permettra-t-elle un mot de reponse? demanda-t-
il.
-- Dites.
-- Cette resolution, je l'avais prise etant pauvre et denue.
-- Soit. Apres?
-- Or, aujourd'hui que, par mon industrie, j'ai acquis un bien-
etre assure, Votre Majeste me depouillerait de ma liberte, Votre
Majeste me condamnerait au moins lorsque j'ai bien gagne le plus.
-- Qui vous a permis, monsieur, de sonder mes desseins et de
compter avec moi? reprit Louis d'une voix presque courroucee; qui
vous a dit ce que je ferai, ce que vous ferez vous-meme?
-- Sire, dit tranquillement le mousquet
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