-- Non; il veut votre bourse. Voila tout.
-- Assez! Assez! Cent mille ecus par mois pendant deux ans!
Corbleu! c'est moi qui paie, Gourville, et je sais mes chiffres.
Gourville se mit a rire d'un air silencieux et fin.
-- Oui, vous voulez dire que c'est le roi, fit le surintendant;
ah! Gourville, voila une vilaine plaisanterie; ce n'est pas le
lieu.
-- Monseigneur, ne vous fachez pas.
-- Allons donc! Qu'on renvoie l'abbe Fouquet, je n'ai pas le sou.
Gourville fit un pas vers la porte.
-- Il est reste un mois sans me voir, continua Fouquet; pourquoi
ne resterait-il pas deux mois?
-- C'est qu'il se repent de vivre en mauvaise compagnie, dit
Gourville, et qu'il vous prefere a tous ses bandits.
-- Merci de la preference. Vous faites un etrange avocat,
Gourville, aujourd'hui... avocat de l'abbe Fouquet!
-- Eh! mais toute chose et tout homme ont leur bon cote, leur cote
utile, monseigneur.
-- Les bandits que l'abbe solde et grise ont leur cote utile?
Prouvez-le-moi donc.
-- Vienne la circonstance, monseigneur, et vous serez bienheureux
de trouver ces bandits sous votre main.
-- Alors tu me conseilles de me reconcilier avec M. l'abbe? dit
ironiquement Fouquet.
-- Je vous conseille, monseigneur, de ne pas vous brouiller avec
cent ou cent vingt garnements qui, en mettant leurs rapieres bout
a bout, feraient un cordon d'acier capable d'enfermer trois mille
hommes.
Fouquet lanca un coup d'oeil profond a Gourville, et passant
devant lui:
-- C'est bien; qu'on introduise M. l'abbe Fouquet, dit-il aux
valets de pied. Vous avez raison, Gourville.
Deux minutes apres, l'abbe parut avec de grandes reverences sur le
seuil de la porte.
C'etait un homme de quarante a quarante-cinq ans, moitie homme
d'Eglise, moitie homme de guerre, un spadassin greffe sur un abbe;
on voyait qu'il n'avait pas d'epee au cote, mais on sentait qu'il
avait des pistolets. Fouquet le salua en frere aine, moins qu'en
ministre.
-- Qu'y a-t-il pour votre service, dit-il, monsieur l'abbe?
-- Oh! oh! comme vous dites cela, mon frere!
-- Je vous dis cela comme un homme presse, monsieur.
L'abbe regarda malicieusement Gourville, anxieusement Fouquet, et
dit:
-- J'ai trois cents pistoles a payer a M. de Bregi ce soir...
Dette de jeu, dette sacree.
-- Apres? dit Fouquet bravement, car il comprenait que l'abbe
Fouquet ne l'eut point derange pour une pareille misere.
-- Mille a mon boucher, qui ne veut plus fournir.
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