j'etais, au lieu d'un esprit leger,
inconsequent et vain, un esprit prudent et reflechi; si, en un
mot, j'avais, comme certaines gens, su arranger ma vie, vous ne
recevriez pas vingt mille livres par an, mais cent mille, et vous
ne seriez pas au roi, mais a moi!
D'Artagnan rougit legerement. Il y a dans la facon dont se donne
l'eloge, dans la voix du louangeur, dans son accent affectueux, un
poison si doux, que le plus fort en est parfois enivre.
Le surintendant termina cette allocution en ouvrant un tiroir, ou
il prit quatre rouleaux qu'il posa devant d'Artagnan.
Le Gascon en ecorna un.
-- De l'or! dit-il.
-- Cela vous chargera moins, monsieur.
-- Mais alors, monsieur, cela fait vingt mille livres.
-- Sans doute.
-- Mais on ne m'en doit que cinq.
-- Je veux vous epargner la peine de passer quatre fois a la
surintendance.
-- Vous me comblez, monsieur.
-- Je fais ce que je dois, monsieur le chevalier, et j'espere que
vous ne me garderez pas rancune pour l'accueil de mon frere. C'est
un esprit plein d'aigreur et de caprice.
-- Monsieur, dit d'Artagnan, croyez que rien ne me facherait plus
qu'une excuse de vous.
-- Aussi ne le ferai-je plus, et me contenterai-je de vous
demander une grace.
-- Oh! monsieur.
Fouquet tira de son doigt un diamant d'environ mille pistoles.
-- Monsieur, dit-il, la pierre que voici me fut donnee par un ami
d'enfance, par un homme a qui vous avez rendu un grand service.
La voix de Fouquet s'altera sensiblement.
-- Un service, moi! fit le mousquetaire; j'ai rendu un service a
l'un de vos amis?
-- Vous ne pouvez l'avoir oublie, monsieur, car c'est aujourd'hui
meme.
-- Et cet ami s'appelait?...
-- M. d'Emerys.
-- L'un des condamnes?
-- Oui, l'une des victimes... Eh bien! monsieur d'Artagnan, en
faveur du service que vous lui avez rendu, je vous prie d'accepter
ce diamant. Faites cela pour l'amour de moi.
-- Monsieur...
-- Acceptez, vous dis-je. Je suis aujourd'hui dans un jour de
deuil, plus tard vous saurez cela peut-etre; aujourd'hui j'ai
perdu un ami; eh bien! j'essaie d'en retrouver un autre.
-- Mais, monsieur Fouquet...
-- Adieu, monsieur d'Artagnan, adieu! s'ecria Fouquet le coeur
gonfle, ou plutot, au revoir!
Et le ministre sortit de son cabinet; laissant aux mains du
mousquetaire la bague et les vingt mille livres.
-- Oh! oh!dit d'Artagnan apres un moment de reflexion sombre; est-
ce que je comprendrais? Mordioux! si je c
|